Compte rendu de la séance du 21.O1.2004
ICompte-rendu
de la séance du 21 janvier 2004.
Présents : Hélène
Merlin-Kajman (co-rapporteur), Marion Mas, Christophe Angebault, Ivan
Gros, Séverine Chauvel (rapporteur), Denis Sigal, Lambert Dousson,
Marc Le Monnier, Gaël Tijou.
Cette séance a pour
objet le retour réflexif sur quelques-unes des séances
précédentes.
Introduction d’Hélène
Merlin-Kajman : La table ronde du groupe “ Philosophie pour
l’éducation ” qui avait pour thème “
culture commune et autre culture ”, et à laquelle nous
avons assisté nombreux la semaine dernière, démontre
qu’un certain type de dialogue sur l’école, impossible
il y a quelques années, a lieu aujourd’hui. Quelque chose
a changé depuis la date de fondation de l’Observatoire
(juin 2002) et nous devons prendre la mesure de ces changements, en
nous portant là où il y a le plus d’urgence. Aujourd’hui,
d’une part, on ne dénie plus les problèmes massifs
rencontrés dans certains établissements et dans la transmission
du savoir en général ; d’autre part, le positionnement
rigide entre républicains et pédagogues a bougé
– ces derniers ayant semble-t-il pris acte d’un certain
échec de ce qu’ils avaient impulsé comme le prouve
le dialogue entre Xavier Darcos et Philippe Meirieu mené dans
Deux Voix pour une école, (Desclée de Brouwer, 2003).
Le rôle de l’Observatoire me paraît gagner en clarté
: il s’agit pour nous d’envisager l’école
comme un des lieux – celui que nous connaissons le mieux –
à partir duquel réfléchir à la question,
bien plus générale, et, en certain sens, bien plus radicale,
de la civilité. Nous devons faire entendre que l’école
en soi n’est que l’épicentre de la crise de la
civilité et non pas son hypocentre, même pas dans la
vie des enfants. Quelques pistes de réflexions :
La civilité comme
mode de résistance
Dans un article du Monde paru le 17 janvier 2004, Didier Peyrat analyse
“ la crise majeure de la civilité ” et constate
: “ Faire société est devenu compliqué.
La société est marchande, mais elle est aussi compliquée.
Et une société moins marchande sera probablement plus
compliquée (…) ”. Comme Dominique Pasquier le faisait
remarquer, la consommation culturelle, quoique pure produit de l’économie
libérale, fabrique du collectif : on ne peut donc se contenter
de vouloir lutter contre, car sans cette culture industrielle qui
constitue un socle de références communes, il risque
de ne subsister aucun lien. A mon sens, cela signifie qu’il
faut réfléchir sur la civilité en suspendant
la question du libéralisme : il faut commencer par rétablir
d’autres liens à côté de celui-là,
d’autres liens qui introduisent de la contradiction et de la
distance là où l’industrie culturelle fabrique
des modes d’adhésion et de cohésion pré-critiques
et quasi animales. Je cite encore Didier Peyrat : “ Il ne s’agit
pas de restaurer les formes anciennes de civilité ou d’écraser
les différences, il s’agit de contribuer à l’émergence
d’une nouvelle civilité. Une civilité durable
: capable de tenir bon aux secousses de la mondialisation (…).
Une civilité de principe : applicable de la base au sommet
de la société. Une civilité fédératrice
: valable pour tous quelque soit l’origine ”
La civilité comme
modèle d’enseignement
Comment enseigner dans un contexte de retour au religieux, où
la raison n’est apparemment plus mobilisée ? Dans Deux
Voix pour une école, Xavier Darcos rapporte le passage du livre
de Mara Goyet, Collèges de France (Fayard, 2003) : «
La discussion qui s'installe dans les établissements, voire
la contestation sur ce qui est donné à savoir, représente
une difficulté réelle. Certains élèves,
dans une confusion épouvantable, récusent des exposés
sur des faits mythologiques qu'ils prennent au premier degré.
Alors que ? Mara Goyet ? racontait l’histoire de Zeus et d’Héra,
un élève lui a posé une question dans ce style
: “Comment se fait-il que Zeus trompe Héra alors que
c’est interdit dans le Coran ? ” . A cette confusion s’ajoute
un phénomène encore plus important : la mise en cause,
voire la confusion du savoir et de ceux qui le transmettent. »
(p. 41-42). Je ne partage pas la consternation de Xavier Darcos (dont
je note au passage qu’elle procède d’une erreur
de lecture : Mara Goyet écrtie en effet : « Questions
d’élèves : Comment Zeus peut-il tromper Héra
alors que l’adultère est condamné par les dix
commandements ? » (p. 171)). Certes les faits mythologiques
sont pris ici au premier degré : mais il s’agit là,
si l’on y pense bien, d’un effet de lecture très
ordinaire, qui ne choque notre génération que parce
qu’elle a été conditionnée au second degré,
habituée à privilégier les lectures sceptiques
plutôt que les lectures véristes, pourtant les plus spontanées.
Mais enfin, ce genre de questions étaient il n’y a pas
encore si longtemps des questions absolument courantes, y compris
chez des gens très savants, et les théologiens se sont
souvent demandé pourquoi dans la Bible on trouvait des histoires
scabreuses, et sans ces questions, qui ont fait naître l’exégèse,
il n’y aurait pas de critique littéraire… Aussi,
personnellement, dans ce type de situation, je répondrais à
l’élève qu’il s’agit d’une excellente
question, celle-là même que pose Platon à propos
d’Homère, concluant qu’il faut chasser le poète
de la Cité puisqu’il raconte n’importe quoi sur
les dieux, portant à faire croire que les dieux sont immoraux.
Les profs me semblent trop pris par des réflexes de peur, dès
qu’un soupçon est porté sur le contenu de leur
enseignement. Et ils manquent aussi de culture – et de civilité
! On rejoint la notion de culture au sens de la civilité. La
civilité peut être reliée au devoir de réserve
et à la force critique qu’il contient. Si un enseignant
ne peut, face à une mise en cause du contenu de son enseignement,
que réaffirmer la légitimité de celui-ci de manière
autoritaire, c’est pour moi un échec. De même,
enseigner l’Ancien Testament comme un mythe – comme l’imposent
les manuels – est trop dogmatique : ce faisant, on se prononce
sur la valeur de vérité de ces textes, on les réduit
donc au statut de fables au prix d’une contre-vérité,
d’une certaine manière ; puisque dans leur réception,
ils sont “ crus ”, reçus comme vérité
par un certain nombre de leurs lecteurs. Ne faut-il pas les présenter
de cette manière-là : comme des textes au statut problématique,
susceptibles de lectures différentes (et derechef, on ne fait
guère que retomber là sur un problème très
général…) : on ferait mieux de leur expliquer
les débats des Pères de l’Eglise à propos
du sens “ historique ” et/ou du sens allégorique
!
La civilité comme
solution à l’oscillation malheureuse entre individualisme
extrême et massification
Comment le phénomène de l’individualisation de
la culture de masse décrit par Dominique Pasquier (cr du 17/12/2003)
peut-il se combiner avec celui du sentiment d’invisibilité
décrit par Olivier Schwartz à propos des chauffeurs
de bus (cr du 24/09/2003) ? D’abord, évidemment, par
le fait que l’atomisation des relations dans la famille n’apprend
pas à reconnaître l’autre en-dehors d’elle
: la famille constitue quand même la première expérience
collective faite par l’enfant. Mais il y a autre chose : on
voit, à l’occasion du “ grand débat ”
surgir de la part des parents une demande d’individualisation
de l’enseignement. L’idée est double : d’une
part, il faudrait permettre aux élèves de “ mieux
se connaître ”, afin de mieux choisir leur orientation.
On en trouve d’autres exemples à la fac avec l’idée
qu’il faille créer des modules de “ construction
de projet professionnel ” : hors du moi, point de salut ! Le
collectif est finalement toujours plus ou moins conçu comme
persécuteur ; d’autre part, on avance que les enfants
se sentent noyés dans la masse. Ceci rejoint l’analyse
d’Hanna Arendt sur la disparition de l’espace public dans
la démocratie de masse, sur la disparition de l’excellence,
ce qui produit de l’indistinction. Je ne sais pas jusqu’à
quel point il faudrait prôner un retour à la distinction
! Mais là encore, la réinvention de la civilité
en tant que gestualité de reconnaissance de l’autre,
devrait permettre de sortir de cette aporie. Ainsi, je crois que la
civilité constitue une réponse pertinente à ce
double problème de l’indifférenciation et de l’invisibilité
pointé par nos deux invités.
Propositions de lectures
:
La Volonté de savoir et Surveiller et punir, Foucault : la
discipline comme un processus d’individualisation, dans le regard
du prof sur chaque élève de la classe.
Comment vivre ensemble, Barthes.
La Mésentente, Rancière.
Education et civilité
Lambert Dousson : Personnellement,
je retiens de la rencontre avec Olivier Schwartz cette dissymétrie
entre le pluriel utilisé quand on parle des “ incivilités
”, et le singulier de la “ civilité ”. Les
incivilités qu’il décrivait à partir de
son enquête sur les chauffeurs de bus ne rentrent pas dans le
champ du judiciaire, et c’est pourquoi elles sont si difficiles
à identifier : et pourtant, elles sont vécues comme
des infractions. D’un autre côté, on ne peut attendre
de la justice qu’elle nous aide à les comprendre, et
D. Peyrat dans son Eloge de la sécurité montrait les
dangers d’une judiciarisation des incivilités, par exemple,
considérer l’occupation des halls d’immeuble comme
un délit. C’est donc qu’il faut construire (ou
rétablir), face à la civilité, son antonyme,
l’incivilité. Les incivilités sont un témoignage
de l’incivilité, non des délits en miniature :
car elles remettent en question à chaque fois le vivre-ensemble
dans son efficience même.
Séverine Chauvel
: Je suis d’accord avec Hélène pour penser que
la spécificité de l’Observatoire est en effet
de ne pas s’intéresser exclusivement au lieu de l’école.
C’est pourquoi il faut agir et interpeller d’autres institutions
comme la police ou la justice de proximité qui font un travail
éducatif. De la part des officiers de police, il y a une très
grande demande d’un travail en commun avec les professeurs,
car ils constatent que les élèves peuvent avoir la même
attitude face au professeur en classe, et face à l’inspecteur
en garde à vue. Et la violence de l’irrespect leur est
insupportable, d’une manière sans doute différente
de la façon dont elle nous est insupportable. Nous, nous déprimons…
Eux, ils sont tentés par des corrections physiques. De toute
façon, on sent bien comment la tentation commune est celle
de la répression…
Marc Le Monnier : Ta remarque,
Hélène, sur Homère, Platon et le Coran, fait
naître une question : comment sortir de l’aporie entre
communication et humanisme ? La civilité est-elle simplement
un mode singulier de communication ? Avec la fin des idéologies,
la psychothérapie ( voir les travaux de l’école
de Palo Alto et les ouvrages de Paul Watzlawick ) nous apprend que
ce qui nous rend spécifiquement humain, c’est de communiquer
et surtout d’apprendre à bien communiquer ; que la réalité
n’est pas univoque et ne dépend que du regard que l’on
porte sur elle. Dès lors, l’idéologue, qui ne
croit qu’à une seule réalité dans laquelle
il y aurait une vérité à découvrir et
à faire advenir, ne peut que favoriser un type de pensée
à l’œuvre dans les régimes totalitaires.
Mais la communication doit-elle être favorisée au détriment
de son contenu, avec le danger du relativisme du savoir que cela implique
? Que répondre à l’idée qui se veut optimiste
: on apprend moins qu’avant mais on communique plus –
elle était aussi en germe dans l’exposé de Dominique
Pasquier : les enfants communiqueraient davantage qu’avant avec
leurs parents… ? Il semble que répondre par la volonté
d’un retour à la transmission des savoirs de type humaniste
n’est pas convaincant. Certes il existe une certaine réponse
dans l’EN avec la mise en place des “ parcours diversifiées
”, transmettre un savoir plus transversal et fondamental, c’est-à-dire
apprendre un peu moins mais pour mieux faire le lien entre les différents
savoirs. Mais quelle peut être la réponse de l’enseignant
face la suprématie des moyens de communication d’aujourd’hui
(télévision, téléphone, courrier électronique
) qui relient les gens entre eux tout en accordant beaucoup moins
d’espace à la réflexion et à l’élaboration
d’une pensée singulière ?
Hélène M.
K. : Mais répondre à l’élève qui
objecte le Coran à Homère que Platon déjà
se posait ce type de question n’est en rien favoriser de la
communication vide au détriment du savoir : c’est au
contraire faire comprendre que le savoir est vivant et non monolithique
– que ce n’est pas qu’une affaire de contenus à
réciter comme un catéchisme. Côté enseignant,
il faut plus de culture pour faire cette réponse que celle
qui consiste à lui dire qu’il confond les niveaux de
questionnement… Et c’est sûrement un défi
majeur de notre époque : pour que la culture lettrée
puisse faire pièce à la communauté fondée
sur l’industrie culturelle et aux dissensions inédites
nées de la mondialisation et de la montée des fondamentalismes
religieux, eh bien, en absence de tout consensus idéologique,
il faut que les enseignants soient encore mieux formés, encore
plus “ cultivés ” qu’auparavant. Au fond,
il s’agirait aussi de réfléchir sur le sens du
mot “ éducation ”, dans l’expression “
avoir de l’éducation ”, en le reliant à
la civilité : les enseignants aussi manquent souvent d’éducation
! L’idée d’éducation doit évoluer
en outre à cause du mélange d’immaturité
et de précocité qu’on constate chez les enfants
: ils sont mûrs de plus en plus tôt, mais ils “
grandissent ” de plus en plus tard…. Il faudrait certainement
freiner leur précocité pour qu’ils acceptent d’apprendre
plus longtemps…toute la vie, même… C’est peut-être
cela, l’horizon de toute éducation.
Culture commune et rationalité
dans l’enseignement
Yvan Gros : Il est difficile
de convaincre les élèves de la nécessité
de la culture avec des arguments rationnels. Comment faire quand on
n’a pas d’outil rationnel pour transmettre la culture,
ou des valeurs comme celles de la démocratie ? Certains élèves
interviennent en cours sans aucun argument logique, mais avec des
arguments moraux : “ c’est pas bien ” ou “
Allah est tout-puissant donc il ne peut pas commettre le mal ”.
C’est pour moi une faillite du discours : il n’y a pas
d’oreilles pour écouter un discours rationnel, à
cause des enjeux de culture ou de civilisation. De cette absence de
passerelle naît l’incivilité.
Il est nécessaire de faire confiance au langage, et l’on
devrait pouvoir montrer que certains modes de fonctionnement sont
valables dans différentes disciplines : et pourtant les élèves
réussissent ici et pas là. Peut-être que l’interdisciplinarité
pourrait répondre à ce genre de problème : un
travail est à mener sur le plan cognitif. Il faudrait par exemple
montrer que les mêmes types de raisonnement argumentatif logique
(les propositions hypothétiques par exemple) se rencontrent
aussi bien en maths, en physique qu’en français, en philosophie,
en histoire. Et l’on peut aborder ces cadres logiques comme
un jeu…
Marion Mas : L’interdisciplinarité
permettrait de donner du sens au savoir. Mais apprendre à construire
un discours prend du temps.
Denis Sigal : Rentrer dans
un processus de rationalisation apporte-t-il quelque chose ? La culture
fondée rationnellement ne convainc-t-elle pas ou plus ? A-t-elle
eu une portée ? Il n’y a peut-être rien à
gagner à un tel jeu. Ce que possèdent les élèves
est pour eux plus intéressant que ce qu’on leur promet.
Lambert D. : En Terminale,
en philo, même des élèves ayant des difficultés
peuvent comprendre et prendre plaisir au raisonnement logique et à
l’abstraction, même si c’est difficile. De plus,
la rationalité est beaucoup large que la seule logique.
Christophe Angebault :
Cela me fait penser aux débats sur la sophistique. La sophistique
est-elle un obstacle à l’émergence d’un
monde commun ?
A propos de la communication, D. Pasquier disait que le “ chat
” consistait en une séance de rattrapage des discussions
qui n’avaient pas lieu pendant la journée. Je me demande
si cela permet de fonder les relations humaines. Je connais un élève
qui a de gros problèmes scolaires, et son ordinateur est branché
en permanence sur Internet, si bien qu’il peut recevoir des
mails à tout instant. C’est différent du téléphone,
où même si ça dure une heure, après c’est
fini ; tandis qu’avec Internet, cela devient un horizon constant.
On m’a raconté aussi comment avant Noël, des profs
avaient fait un pot de fin d’année, et, à cette
occasion, avaient joué à des jeux étranges dans
la salle des profs, comme de constituer une chaîne corporelle
où chacun s’emboîtait dans l’autre : au-delà
de l’anecdote, on voit ici que la difficulté à
grandir évoquée par Hélène procède
probablement d’une défaillance des modèles de
la communication “ adulte ” dans nos sociétés.
L’agglutination et la coupure semblent constituer les nouvelles
modalités du lien.
Marc Le M. : Cela me rappelle
les jeux auxquels il arrive que les profs se livrent pendant les conseils
de classe, parodiques de la situation : devoir prononcer tels mots,
aussi insolites qu’ils paraissent a priori, par exemple…
Hélène M.
K. : Je reviens à l’intervention d’Ivan. C’est
vrai qu’il y a une dimension ludique dans l’abstraction
logique, c’est vrai du coup qu’elle peut servir de cadre
commun en permettant à des élèves d’horizons
différents d’apprécier, presque par plaisir tout
d’abord, des textes des philosophes des Lumières, par
exemple. Mais on peut noter aussi que la mythologie et l’étymologie
intéressent tous les élèves, et ce sont là
des “ -logies ” pas très logiques …
La différence des cultures empêche-t-elle un partage
immédiat de la raison ? Au fond, je ne le crois pas –
je crois qu’on s’exagère ces différences,
alors qu’au fond, elles ne sont pas plus grandes qu’entre
tel cousin qui est mystique et croit dans l’astrologie, et moi-même
: et pourtant, il a été au lycée jusqu’en
terminale, il y a de cela une bonne quarantaine d’années…
La réaction que je suggère d’avoir face à
l’élève qui demande comment Zeus peut tromper
Héra alors que c’est interdit par le Coran se fonde sur
l’idée qu’il y a plusieurs régimes de rationalité
: un régime “ questionnant ”, qui s’oppose
à un régime assertif. La raison peut toujours dissimuler
le dogmatisme. Je pense à un article du frère de Tariq
Ramadan, Hani Ramadan (Le Monde du 10 septembre 2002) justifiant la
lapidation : il était spectaculairement rationnel : certes,
il reposait sur le postulat selon lequel Dieu agissait directement
dans le monde, par exemple, c’était lui qui avait envoyé
le sida en punition de la liberté sexuelle ; mais une fois
cette hypothèse acceptée, ses arguments se déroulaient
de façon implacable, ou presque. Le régime questionnant
– dialogique, socratique - , c’est ce qui nous manque
aujourd’hui. Parce qu’il ne faut jamais ignorer que les
discours ont toujours une pertinence, même ceux qui nous paraissent
les plus révoltants. Dès lors, l’enjeu est de
comprendre comment un discours fonctionne, c’est-à-dire
faire droit à la pertinence du discours de celui avec qui on
n’est pas d’accord, sinon c’est l’argument
d’autorité qui va prévaloir, ou la rupture de
la communication qui va se produire, chacun se murant dans sa certitude
d’avoir raison. Le discours religieux n’est pas nécessairement
hors toute rationalité. Et la culture occidentale, qui n’est
pas si univoque qu’on s’est mis à la réputer
depuis qu’il s’agit de la dresser contre l’Islam
(après l’avoir rendue responsable tout uniment du génocide
nazi et des horreurs de la colonisation), repose sur des rationalités,
et non sur une rationalité : c’est sa richesse qui permettra
qu’elle comprenne d’autres cultures…
Ce que dit Ivan pose le problème d’une didactique générale,
une didactique de la culture en somme. Si la démocratie a besoin
d’arguments rationnels pour se justifier, c’est qu’elle
va mal. La monarchie aussi est rationnelle. On est trop tenté
par le cadre a minima d’une logique persuasive (“ La démocratie,
c’est bien ”). Mais la force de la vraie rationalité,
c’est de pouvoir articuler le dialogue, forcément conflictuel,
dans la perspective d’un horizon commun. L’explication
des blocages des élèves par l’aliénation
ne me satisfait pas, car elle tend à exclure, et à dessiner
a contrario le pôle des enseignants comme ceux qu’il suffit
de suivre pour s’émanciper. Je ne suis pas sûre
qu’on puisse ordonner l’émancipation… Je
commence peu à peu à admettre que Meirieu n’a
pas tort à 100%… En tout cas, je ne mettrais certainement
pas l’autorité de ce côté-là : raison
pour laquelle, encore une fois, il me semble de plus en plus souhaitable
de la coupler avec la civilité…