Compte-rendu de la séance du
18 décembre 2002
Exposé de Christian Puech, professeur
de linguistique à Paris III,
sur l’histoire des instructions officielles
en français.
Invité : Christian Puech,
professeur de linguistique à Paris III.
Présents : Angebault Christophe,
Chauvel Séverine, Gaboriaux Chloé, Le Monnier Marc, Merlin-Kajman
Hélène, Rousset Séverine, Sarphaty Judith, Sigal Denis,
Tijou Gaël.
Exposé :
Les instructions officielles sont des
circulaires ayant une valeur quasi contractuelle entre les fonctionnaires
de l’E. N. et l’administration centrale. Mais ce contrat s’adresse-il aussi
aux parents, aux élèves ?
L’histoire des instructions est scandée
par des changements de théorie grammaticale : 1910, 1975, 1985,
1997/1999. La grande inertie de ces textes est nécessaire (cohabitation
de plusieurs générations d’enseignants), mais on constate
une tendance à l’accélération des évolutions
ces dernières années, qu’il faut interroger.
Ces instructions constituent des archives
de la matière « français », qui n’est pas une
matière comme les autres : enjeu de la maîtrise de la langue,
éclectisme des domaines à évaluer… Matière
née de compromis multiples :
- entre types d’enseignement : classique
(lettres classiques), féminin (années 50, création
des lettres modernes), et spécialisé (scientifique, technique,
ouverts sur le monde moderne et les langues vivantes).
- entre niveaux d’enseignement : le collège
unique, né des programmes de la Résistance (plan Langevin)
et Réalisé par Haby (1975) est au centre de l’enseignement
français. Est-il le prolongement du primaire (enseignement obligatoire
jusqu’à 16 ans), ou le début du secondaire ? Y enseigne-t-on
l’orthographe, pilier du primaire, ou la littérature comme au lycée?
- entre contenus d’enseignement : jusqu’où
pousser l’enseignement de la langue, ou placer la limite de l’accès
à la littérature (collège, lycée, supérieur)
? Le projet de certains didacticiens de réserver au lycée
une approche purement typologique des textes paraît devoir cantonner
l’approche esthétique à l’Université.
Sens des dernières évolutions
:
Il existe en France une tradition de linguistique
pédagogique (Port-Royal, Condillac, Idéologues) qui s’éteint
au XIXe avec le développement de la grammaire comparée, inapplicable
à l’enseignement. En 1910, les instructions dessinent donc une grammaire
scolaire non savante, qui s’impose de manière coutumière
durant le XXe siècle.
Avec le renouveau de la linguistique dans
les années 60 va se reposer la question de l’enseignement de la
langue : très fort désir de rationalisation de la discipline,
critique de Lagarde et Michard, nécessité d’intégrer
la linguistique au cursus de formation des enseignants. L’école
doit se mettre au niveau de la science.
La réforme de 1975 ne touche pourtant
pratiquement pas aux contenus d’enseignement, mais entérine mai
68 en créant le collège unique, l’épreuve anticipée
de français, et faisant la « révolution » par
les exercices (introduction du commentaire composé et du résumé-discussion
contre le « règne » de la dissertation, liée
à la création des bacs professionnels).
Il faut attendre 1985 pour que la nomenclature
soit revue et intègre des acquis de la linguistique : en particulier
du structuralisme et de la grammaire textuelle.
En 1997, la terminologie est harmonisée.
Mais la notion de « pratique raisonnée de la langue »
disparaît, à laquelle se substitue celle de « maîtrise
des discours ». L’ambivalence de la formulation traduit encore une
forme de compromis : s’agit-il toujours d’avoir une maîtrise théorique
de la langue, ou seulement une maîtrise de la communication ? Les
instructions officielles s’imposant de plus en plus étroitement
aux enseignants, il serait logique d’attendre d’eux en conséquence
qu’ils les interprètent de manière critique.
Discussion :
Séverine Rousset : L’enseignant
a-t-il une marge d’interprétation face au texte indépendamment
de l’interprétation imposée par les IUFM ?
Séverine Chauvel : Quelle
idéologie inconsciente s’impose à nous dans ces instructions
?
Christian Puech : Idéologiquement,
les instructions ne sont pas d’un bloc : formations de compromis. Quant
aux IUFM, il faut comprendre les nécessités qui ont présidé
à leur création en 1989 : nécessité de recruter
en masse des enseignants, sans reproduire les erreurs des années
50-60 (baby-boom), où l’on avait recruté massivement des
maîtres auxiliaires sans formation, puis créé le CAPES.
Il fallait en même temps intégrer des instituteurs au collège
: les PEGC. Il fallait donc former, et on voulait de plus que cette formation
relève de l’enseignement supérieur (à la différence
des écoles normales d’instituteurs). Enfin, il s’agissait de créer
un corps unique d’enseignants de la maternelle à la terminale, les
IUFM formant à la fois les professeurs des écoles et du secondaire,
ce qui apparaissait nécessaire.
Concrètement, en l’absence de véritables
sciences de l’éducation en France, les IUFM issus de ce compromis
sont des institutions très hétérogène, mêlant
d’anciens professeurs des écoles normales, des enseignants détachés
du secondaire, des professeurs d’université, etc. Il n’existe aucun
statu de professeur d’IUFM.
Chloé Gaboriaux : lien IUFM-ministère
? C. Puech : Les IUFM sont à la fois des organismes de recrutement
(professeurs des écoles) et de formation avant et après le
concours. Quant aux concours, ils sont organisés par le ministère
et préparés par l’Université. Il n’y a donc pas de
cohérence institutionnelle dans l’organisation du recrutement et
de la formation.
Hélène Merlin-Kajman
: 1. Pourquoi ne peut-on pas être contre l’unification des statuts
des enseignants ?
2. Pourquoi vouloir une adéquation
entre état de la recherche et programmes scolaires, au risque de
créer une disproportions entre exigences conceptuelles et niveau
du secondaire ?
Christian Puech : 1. L’unification
des statuts enseignants répond à la nécessité
d’une meilleure articulation primaire-secondaire : assurer la continuité
des cycles en limitant les redites et en assurant la cohérence des
enseignements, ce qui implique une unicité de formation (allongement
de la formation des maîtres au niveau licence, comme pour le CAPES),
et donc unité de statut.
2. C’est le rôle de la didactique,
et non de la pédagogie, d’adapter les savoirs scientifiques aux
objectifs pratiques de l’enseignement. Il est indispensable de ne pas enseigner
un savoir « faux ». Les anciennes médiations didactiques
(style classiques Larousse, qui correspondent à la critique lansonnienne)
ne fonctionnent plus : il faut en inventer de nouvelles. La didactique
maintient l’exigence de savoir, contre le danger de la pédagogie,
qui fait passer les objectifs pratiques avant la connaissance.
Bibliographie :
Chervel, André, Les instructions
officielles depuis 1867.
Petitjean, André, et Privat, Jean-Marie
(dir.), Histoire de l’enseignement du français et des textes
officiels, Didactique du texte, n° 9.
Weinland, Katherine, « Instructions
officielles : évaluations et refondations », dans Textes officiels
et enseignement du français, sous la dir. d’A. Chervel, Pratiques,
n° 101-102, mai 1999.