Comptes rendus des 14 et 21 mai 2003
Discussions autour du livre de Luc Ferry,
Lettre à tous ceux qui aiment
l'école.
Présents à la séance
du 14 mai 2003 : Hélène Merlin-Kajman, Gaël Tijou,
Séverine Chauvel, Marc Le Monnier (rapporteur), Denis Sigal, Christophe
Angebault, Lambert Dousson, Ivan Gros, Bruno Bassi, Damien Rémont,
Stéphanie Kerebel, Emmanuel Chanial.
Présents à la séance
du 21 mai 2003 : Hélène Merlin-Kajman, Gaël Tijou,
Séverine Chauvel, Marc Le Monnier (rapporteur), Denis Sigal, Christophe
Angebault, Lambert Dousson, Ivan Gros, Damien Rémont, Emmanuel Chanial,
Soumiya Abbassi, Joëlle Menrath, Marion Mas, Sarah Clément,
Alexandre François, Anne-Sophie Demonchy, Laure Duperrein, Nathalys
Fiokouna, Diane Huyez, Chloé Faïsse-Trolet.
1- Retour sur le compte-rendu de la
séance du 7 mai :
L’intervention de C. Mounier concernant
l’« Ecole de la deuxième chance » a donné du
concret au livre La Cité des poètes ainsi qu’aux propos théoriques
de Jacques Donzelot. Cependant, l’école conçue en termes
d’utilité (emplois) et non de culture semble être l’un des
problèmes sur lesquels il faudrait que nous revenions dans la suite
de nos réflexions. Christophe se demande pourquoi nous ne sommes
pas présents, en tant qu’Observatoire de l’Education, pendant les
manifestations : ce serait une occasion de nous faire connaître,
de discuter avec les gens. Quelqu’un se demande si l’Observatoire doit
faire des propositions et prendre position par rapport aux réformes
ou bien doit-il proposer une description de ces observations et adopter
une posture de retrait ? Hélène propose de bien séparer
les engagements personnels de chacun par rapport à ceux de l’Observatoire,
c’est-à-dire de bien distinguer ce qui est de l’ordre d’un syndicat
( par ex. revendication en termes de moyens ) et ce qui est du ressort
de l’association ( réflexion sur les problèmes éducatifs
). Il a été décidé qu’une réflexion
autour du rôle et de la présence de l’Observatoire par rapport
à l’actualité politique serait un sujet de discussion lors
de la réunion bilan du samedi 24 mai. Emmanuel propose de réfléchir
aussi à l’utilité que peut constituer le communiqué
de presse, par exemple en réaction aux propositions de Luc Ferry
et par rapport à l’annonce de nos tables rondes.
2 - Raison de ce rapport unique couvrant
deux séances :
Comme il en a été décidé
lors de la séance-bilan du samedi 24 mai, le compte-rendu qui suit
synthétise les deux séances consacrées à l’ouvrage
de Luc Ferry, Lettre à tous ceux qui aiment l’école. En effet,
la première de ces deux séances avait laissé ses participants
profondément insatisfaits, mais révélé l’importance
et la nécessité de ce débat pour l’Observatoire. Aussi,
sur la demande d’Hélène M.-K., le bureau, réuni dimanche
18 mai, constatant que la discussion avait été insuffisante
(d’autant plus que la grève avait empêché un certain
nombre de membres de venir et que les participants n’avaient pas tous lu
le livre de Ferry) a décidé de reporter l’exposé prévu
sur Le prix de la vérité de Marcel Hénaff au mercredi
4 juin et de consacrer une deuxième séance à discuter
de Lettre à tous ceux qui aiment l’école.
La séance du 14 mai s’est
déroulée en trois temps. Personne n’ayant été
chargé de la présentation du livre, on a pris librement la
parole. D’abord, une série d’interventions, manifestant la suspicion
des intervenants à l’égard d’un livre dont le statut est
plus que douteux (on a rappelé notamment le coût exorbitant
de l’opération de marketing), en ont relevé les «
contradictions », les « passages infondés théoriquement
», « démagogiques et manipulateurs », le «
libéralisme » plus ou moins affiché. Puis, d’autres
intervenants se sont étonnés de cette réaction purement
négative. Il leur semblait au contraire important de saluer avant
tout le tournant positif que marquait ce livre, notamment dans sa
manière de parler des enseignants et du rapport éducatif
en général et dans sa description de la situation (insécurité,
incivilités, illettrisme) montrée dans sa vraie gravité
sans enjoliver les choses ni les dramatiser. Alors, les premiers ont expliqué
leur difficulté à lire ce livre dont ils jugeaient qu’il
était un habillage des réformes en cours, et ont reconnu
en conséquence avoir préféré passer sous silence
ces points d’accord, qui les embarrassaient trop. La réunion s’est
terminée sur le constat de la difficulté à être
d’accord, quand on est de gauche, avec un ministre de droite : n’y a-t-il
pas là un piège ? Si oui, lequel ? Selon Bruno B. la droite
récupère vingt ans d’hypocrisie de la gauche. Il insiste
sur le fait que la droite fait souvent des diagnostics justes,qu’il n’y
a pas lieu d’avoir peur de le dire même si nous ne pouvons pas être
d’accord avec ses solutions, ses perspectives.
Lors de la séance du 21 mai, les
intervenants, dépassant pour la plupart (parmi ceux qui l’avaient
ressentie lors de la précédente séance) leur répulsion
immédiate, leur rejet a priori du livre, se sont appuyés
sur le texte lui-même pour en discuter. Cette deuxième séance
n’a probablement pas entièrement dissipé les désaccords
surgis lors de la séance du 14 mai, comme il est dit ci-dessous.
Néanmoins, un consensus s’est nettement dégagé pour
apporter au livre de Luc Ferry notre soutien critique, c’est-à-dire
pour :
- Applaudir au changement de discours,
par rapport aux ministres précédents, qui le caractérise,
en constatant la proximité du point de vue de l’Observatoire et
du sien sur un grand nombre de points (parfois littéralement).
- Relever cependant des zones d’ombre
et des points de désaccord, dont l’évaluation, par rapport
à notre soutien global, ne fait pas l’unanimité au sein de
l’Observatoire, comme on pourra le constater dans la présentation
des débats.
3 -La séance du 21 mai débute
par un exposé d’Hélène M.-K. :
a) Approbation du livre
La parution de la Lettre de Luc Ferry,
le traitement réservé à ce livre par de nombreux enseignants,
exige de notre part une mise au point – et constitue peut-être même
une mise à l’épreuve de la base de notre accord. Car il faut
reconnaître qu’on peut y lire, dans une proportion importante, ce
que l’Observatoire dit depuis un an . A croire qu’il connaît notre
existence ! Il n’a du reste pas sorti ce livre de sa poche, mais il s’appuie
sur tout le courant de protestation et d’inquiétude qui s’est développé
ces dernières années contre la politique type Meirieu et
Allègre. D’une certaine manière, nous pourrions donc le saluer
comme une avancée de nos propres analyses : une victoire politique,
dont on doit déplorer en revanche la fragilité et le manque
de clarté. Son discours cherche à promouvoir l’idée
de la langue et de la civilité développée, en gros,
dans La langue est-elle fasciste ?(d’H. M.-K.). On y lit aussi une réhabilitation
solennelle de la fonction du professeur devant l’opinion (p.52) : et c’était
l’un de nos objectifs lorsque nous avons créé l’Observatoire.
Le tableau de l’insécurité dans les établissements
scolaires (p. 34 : « plus de 81000 incidents graves » «
qui relevraient de la qualification pénale si nous avions affaire
à des adultes »), la mention (par X. Darcos, p. 140) que la
violence « gagne parfois les établissements les plus paisibles
», la description précise des multiples « petites incivilités
» (p. 88) qui empoisonnent au quotidien la vie des enseignants, rompent
enfin avec le long déni de la gauche en la matière : et c’était
aussi le but de l’Observatoire que de faire sortir de ce déni. On
peut saluer que Luc Ferry n’agite pas l’épouvantail du chaos pour
autant. Les chiffres évoqués dans le livre semblent raisonnables
et il n’y pas de raison de les mettre en doute a priori. Ce livre n’invite
pas à chercher des boucs émissaires, il cherche à
défendre une école pour tous, et il insiste notamment sur
le fait que ces violences diverses nuisent d’abord aux enfants, surtout
les plus défavorisés (X. Darcos, p. 141). Pour insuffisant
qu’il soit, l’éloge du travail par lequel l’enfant exerce sa liberté
tout en se heurtant à des obstacles réels,( p.47-48) est
assez satisfaisant, l’effort cesse d’être associé à
une image répressive et la liberté se trouve enfin conjuguée
au principe de réalité. En fait, si on ignorait le nom des
auteurs de ce livre, on ne pourrait pas déterminer si ce livre est
de gauche ou de droite : il y a là des considérations de
l’ordre du bon sens, et qui s’arrachent – enfin – sur fond de désarroi
face à la situation. Il y a un moment où le désarroi,
quand il s’agit de trouver des solutions, n’est ni de droite ni de gauche.
Le plus grand regret que nous puissions avoir est qu’un ministre socialiste
n’ait pas tenu ce discours à temps.
Par ailleurs, la façon de poser
le problème de l’enseignement en l’ouvrant vers le parascolaire
et le monde associatif, est intéressante et cela rencontre encore
une fois nos analyses et nos objectifs, comme en témoigne notre
nom : nous avons choisi de nous appeler « Observatoire de l’Education
», et non « de l’Enseignement », parce qu’à nos
yeux le problème ne se situe pas qu’à l’école (p.71/p.142).
Sur la question des moyens, le discours de Ferry corrobore le témoignage
d’Alain Giry qui estimait que la solution ne réside pas simplement
dans l’augmentation des moyens (p.21/p.36). Enfin, nous pouvons aussi être
d’accord avec lui lorsqu’il met en garde contre « la demande insistante
de surveillance » (p. 35) – à condition d’ajouter que la demande
de répression est encore moins une solution (donc, inquiétude
sur l’allusion à la « politique générale de
sécurité intérieure du gouvernement » p. 89),
ce qui ne justifie évidemment pas la suppression d’emplois d’encadrement
! Mais nous devons insister sur ce fait : les « racines du mal »
sont dans la société d’aujourd’hui, y compris dans cette
façon constante de faire peser la responsabilité de tout
sur d’autres épaules que les nôtres.
b) critiques
Il ne s’agit pas de passer en revue tout
l’ensemble, mais d’indiquer quelques aspects particulièrement problématiques.
Ferry propose de développer l’engagement des jeunes dans la «
société civile » (p.16). Qu’entend-il par cette expression
? Ne fonctionne-t-elle pas ici de façon magique ? Du reste, p. 37,
il évoque l’éducation par les parents, par les enseignants,
comme s’il n’y avait pas d’éducation par la société
entière. Si « société civile » évoque
le « monde commun » d’Hannah Arendt, alors, on ne voit pas
dans quoi les jeunes vont s’engager : puisque tant la société
civile que le monde commun nous sont apparus comme passablement décomposés,
et que c’est même à nos yeux l’une des racines du mal. Ferry
semble espérer une restauration des liens de l’école et de
la famille. Cela nous semble notoirement insuffisant, car pour nous cela
devrait se jouer partout, à commencer dans la rue. En outre, et
parallèlement, on peut être très sceptique sur l’idée
que la « citoyenneté » peut s’enseigner comme une matière
ou se transmettre comme un message.
c) inquiétudes quant à l’accueil
qui lui est réservé aujourd’hui et pour l’avenir de l’Observatoire
En fait, ce texte n’est pas du tout démagogique.
Sans doute en revanche n’est-il pas assez politique. Non manichéen,
non passionnel, ni alarmiste, ni rassurant, il cherche à rassembler
sur une base trop peu mobilisatrice, trop peu enthousiasmante. Ferry comptait
peut-être sur une valeur performative de son propos. Mais la situation
ne se résoudra pas à coup de performatifs ! Il faut que quelque
chose bouge à la base, pas seulement au sommet. Le rôle de
l’Observatoire serait peut-être de montrer que nous l’avons lu, que
nous le prenons au sérieux, que nous nous en emparons, c’est-à-dire
de proposer de retirer ce livre à son auteur pour en faire la base
de l’action de tous, des discussions de tous, de la préoccupation
de tous. Si nous ne parvenons à nous défaire de son geste
de marketing qu’en le (re)jetant tout entier, alors c’est que nous aurons
été gagnés par l’idéologie que nous dénoncions
: obsession de la manipulation qui aboutit à halluciner des significations
entre les lignes, à ne plus pouvoir lire, répondre et reprendre
la parole.
Ce texte nous oblige donc à un
constat : depuis juin, le combat de l’Observatoire a changé de nature.
D’abord, parce que le livre de Ferry devrait signer la fin d’une situation
de déni : ce premier objectif est donc atteint. D’autre part, notre
colère contre les IUFM et Meirieu n’a plus d’objet. Maintenant,
notre combat, c’est d’abord, évidemment, continuer la réflexion
à partir d’informations concrètes sur l’éducation
réelle ; affiner les concepts qui nous tiennent à cœur, «
autorité », « civilité » notamment ; ensuite
: comment faire comprendre aux gens de gauche que nous ne sommes pas de
droite parce que l’on est d’accord avec un ministre de droite ? On pourrait
même se proposer dans une prochaine séance de nous affronter
à des textes défendant le libéralisme pour éviter
nos réactions épidermiques de consensus magique contre tout
ce que nous soupçonnons de « libéral » : parce
qu’il ne faudrait jamais fonctionner sur ce registre de l’adhésion/rejet
viscéraux…
Bref, repousser ce livre, refuser de le
lire, rejeter son discours en totalité sous prétexte que
Luc Ferry est le ministre de J. Chirac (ou même sous prétexte
que, comme c’est le cas pour certains des membres de l’Observatoire, on
est en lutte contre sa réforme), ce serait reconduire le déni
de la gauche contre lequel nous nous étions fondés. Alors,
on peut être sûr que dans quelques années, la situation
ayant encore empiré, nous nous retrouverons face à un Le
Pen au pouvoir.
4 –Discussion (synthèse des deux
séances) :
4.1. Interventions à caractère
particulier
a) Autorité, sanctions, classes-relais
Séverine remarque que Ferry souligne
comme nous que l’autorité du professeur passe trop souvent par des
qualités extérieures à ses compétences disciplinaires,
notamment « la psychologie des groupes » ou même la force
physique (p. 34). Il fait de nombreuses références à
Hannah Arendt (école conservatrice et place de la tradition dans
l’enseignement, p.48 ; distinction entre monde des enfants et des adultes,
p.50). Il nous faudra cependant réfléchir sur le fait que
Ferry veut mettre le savoir au centre du système quand Donzelot
pensait qu’il s’agissait plutôt d’y mettre l’apprentissage de l’élève.
L. Ferry affiche une volonté de prévention et non pas de
répression, et la volonté aussi de bien distinguer le rôle
de l’EN, de la justice et de la police, ce qui tend à s’opposer
au risque de judiciarisation de l’école que nous avions observé.
Sur le fonctionnement des classes-relais (environ 200 ), Ferry semble les
comprendre comme une sanction-exclusion alors qu’aujourd’hui elles possèdent
essentiellement des activités ludiques et sportives pour redonner
confiance aux élèves. Là aussi, c’est un problème.
D’autres intervenants, comme Anne-Sophie, soulèvent le même
problème, en s’inquiétant du risque à présenter
penser les classes-relais comme une sanction. Marc remarque cependant que
les classes-relais ne peuvent pas être conçus comme des cas
d’exclusion des élèves du système puisqu’il est question
d’y aménager des pédagogies adaptées. C’est en tout
cas une meilleure solution que de laisser par exemple les élèves
ingérables en salle d’exclusion toute l’année avec un aide-éducateur
ou de les regrouper dans des classes spécifiques (voir témoignage
de la première table ronde). Sur la question des aide-éducateurs,
les syndicats étaient opposés à l’origine à
la création de ces postes. Pourquoi devrions-nous être opposés
à la création des assistants d’éducation et défendre
les aide-éducateurs qui posent d’ailleurs souvent des problèmes
dans les relations éducatives qu’ils ont avec les enfants (tâches
mal définies) ?
Pour Denis, le texte de Ferry a le mérite
de bien reconsidérer l’école dans son enjeu éducatif
en la séparant des rôles de la justice et de la police. Cette
distinction pose le problème du répressif. Qu’entend-on par
répression ? Une sanction à l’école est –elle éducative
ou répressive ? A quel prix peut-on avoir une école qui réponde
à tous les problèmes de l’élève, par un acharnement
éducatif, au sens où l’éducatif s’oppose au répressif
?
Pour Lambert, Ferry a une confiance dans
la culture et le savoir pour restaurer l’autorité des enseignants
avec laquelle on peut demeurer sceptique. Sur la question de la sanction,
Ferry semble considérer que les anciennes sanctions ne fonctionnent
plus et qu’il faut en élaborer de nouvelles (cf. p. 91, «
une modernisation des sanctions s’impose »), et c’est ainsi qu’il
justifie le dispositif de la classe-relais comme une sanction-exclusion.
Plutôt que d’envisager la sanction sur le principe de l’exclusion,
il vaudrait mieux revenir à une administration des sanctions qui
soient efficaces et partagées par l’ensemble du personnel éducatif
( par exemple, aujourd’hui les enseignants se trouvent souvent en situation
de négociation avec les conseillers d’éducation pour pouvoir
administrer une sanction, 2 h de colle par exemple, à un élève).
Lambert considère aussi que les sanctions à l’égard
des actes de racisme et d’antisémitisme posent problème –
et que cette distinction même en pose aussi.
b) La question des moyens, de la libéralisation,
de la décentralisation
Dans une circulaire, le titre du ministre
a changé d’appellation « Ministre chargé de l’Education
», sans le terme de Nationale, cela trahit peut-être une stratégie
de libéralisation de l’école. Un grand nombre d’intervenants
sont d’accord pour s’inquiéter de ce danger. La professionnalisation
de l’école et l’importance de la recherche ne sont-elles mis en
avant dans un esprit de compétitivité ? L’insistance du livre
sur la recherche scientifique est étrange, peut-être traduit-elle
la volonté d’assurer à la France dans les années à
venir une bonne place dans la compétitivité internationale.
L’idée d’une restauration de la science ressemble ainsi à
une promotion marketing. A propos de la libéralisation, il ne serait
pas surprenant de voir apparaître bientôt des franchises
et des succursales dans l’éducation, projets établis par
des universités américaines. C’est aussi dans cet esprit
de compétition qu’on peut comprendre les propositions d’autonomie
des établissements, leur mise en concurrence, avec les notions de
flexibilité du personnel et d’une mise en place de l’esprit de l’entreprise.
Un des risques de la décentralisation est de renforcer les comportements
des chefs d’établissement, considérés de plus en plus
comme des « coachs » qui doivent faire gagner leur équipe,
et la dérive de l’esprit petit chef. Christophe remarque que néanmoins,
on peut concevoir une autre forme de décentralisation, qui soit
non-idéologique et qui passe par une implication au quotidien.
c) Le « socle culturel commun »
et la transdisciplinarité
Lambert remarque que la notion de «
socle culturel commun » n’est pas défini dans le livre. Qu’est-ce
que le commun ? Marc souligne qu’il l’a fait dans son ouvrage précédent.
Ferry justifie une nouvelle pédagogie _ tout comme Meirieu d’ailleurs
_ par l’argument de la fin des idéologies. Il vaut mieux posséder,
selon lui, un « socle culturel commun », en se recentrant sur
l’acquisition des notions fondamentales. Pour cela, la discipline ne doit
plus être enseignée pour elle-même mais être mise
en relation avec d’autres disciplines, et il faut réviser à
la baisse les exigences dans chacune de celles-ci. En revanche, Ferry souligne
que les étudiants ne possèdent plus un niveau culturel suffisant
en entrant à l’université. Quel constat tire-t-il de ce manque
de culture en amont de l’université ? Est-ce par la transdisciplinarité
au collège et au lycée qu’il pense résoudre cet écueil
? Denis demeure très sceptique quant à la transdisciplinarité
et rappelle les difficultés que l’on rencontre quand
on intervient dans une discipline qui n’est pas la nôtre. Par ailleurs,
pour justifier la réduction des heures de français par niveau,
on évoque le fait que les élèves en fassent dans chaque
matière. Pourtant, que répondre à des élèves
qui se plaignent que tel professeur de biologie écrit « juste
» « just » ?
d) Lycée des métiers
Gaël rappelle qu’H. Arendt critique
aux EU la part de l’enseignement technologique qui se fait au détriment
des humanités. Privilégier la technique ou le technologique
dans le système éducatif, c’est une façon de manquer
l’humain. Pour Christophe en revanche, la revalorisation de l’enseignement
professionnel est un souci juste et bon ainsi que le collège unique
qui n’est pas remis en question mais qui doit être diversifié
pour assurer un « socle culturel commun ». Le développement
des lycées professionnels pose le problème du rapport de
l’école à l’emploi : l’école devant être un
lieu où l’espace éducatif n’est pas soumis aux contraintes
d’utilité et d’efficacité propres à l’emploi.
On retombe sur l’inquiétude déjà
formulée (et posée comme problème dès le retour
sur la séance avec C. Mounier, cf. plus haut) à l’encontre
du rapport entre école et emploi : est-ce fatalement un asservissement
aux bassins d’emplois, à la logique libérale ? Pour Marc,
la volonté d’instaurer un lycée des métiers s’accorde
avec la volonté du snes, pour qui, le lycée unique est une
façon de faire des économies dans les filières techniques
et professionnelles. Ce lycée des métiers permettra de faire
en sorte que les diplômes obtenus dans ses filières s’ajustent
mieux aux métiers sur lesquels ils sont censés déboucher
et de permettre éventuellement une poursuite d’études dans
le supérieur. De plus, cet enseignement professionnel est conçu
par une revalorisation d’un enseignement de culture générale
dans ses filières. L’autonomie des établissements semble
intéressante dans l’amélioration du rapport des enseignants
avec leur administration. Le déni de la part des chefs d’établissement
de ce qui passe dans les classes tient au fait qu’ ils ont tout intérêt
à ne pas le faire savoir à leurs supérieurs hiérarchiques.
Pour Anne-Sophie, le lycée des métiers va permettre enfin
de revaloriser les filières techniques et professionnelles. En ce
sens, les stages proposés aux enseignants en milieu professionnel
apparaissent comme une bonne mesure.
e) IUFM
Damien émet des inquiétudes
concernant l’articulation qui va s’opérer entre l’analyse de la
situation qui est juste et l’application des mesures gouvernementales.
Si ce texte n'est pas ou est peu politique, ses applications nécessitent
une vraie vision politique, par exemple sur la réforme des IUFM
qui demeure floue pour le moment. Lambert : la fin annoncée des
IUFM ne suscite aucun regret, même si Ferry demeure flou dans ses
propositions de changement, car ils n’ont servi qu’à transmettre
un immense message de culpabilité aux enseignants.
4.2. Interventions à caractère
général (sur notre attitude à l’égard de ce
texte)
Séverine : Un de nos objectifs
est de faire lire ce texte car il met fin au déni de la réalité
de l’enseignement, qui fut à l’origine de notre combat. Soumiya
et Anne-Sophie considèrent également qu’on doit soutenir
globalement ce texte. Pour Denis, le départ éventuel de Ferry
n’a rien de réjouissant. Ivan note que cela risquerait de marquer
le retour aux conceptions de Meirieu. Il ajoute qu’il faut peut-être
savoir reconnaître que le clivage gauche/droite obscurcit trop souvent
les débats, et que les étiquetages sont rassurants, mais
illusoires. Soumiya partage avec lui l’idée selon laquelle l’opposition
gauche/droite n’est pas forcément très pertinente au niveau
de l’éducation. Pour elle en tout cas, Allègre n’a pas fait
une politique de gauche en attaquant l’école républicaine,
dont elle mesure personnellement ce qu’elle lui doit. Joëlle remarque
que l’ascenseur social est tout de même suffisamment en panne pour
qu’on soit favorable à des mesures type « discrimination positive
». La question se repose de savoir quelle contenance adopter à
l’égard du texte de Ferry : quel statut lui accorder ? N’est-il
pas simplement un opération de manipulation et de diversion pour
faire passer ses réformes ? Ne risque-t-il pas de nos piéger
? Hélène pense que Ferry propose une solution modérée
que les gens de gauche ne doivent pas refuser si on ne veut pas qu’on envisage
la violence seulement sous l’angle de la répression. On peut décider
– sans naïveté - de prendre ce texte « naïvement
» c’est-à-dire en refusant de rentrer dans la discussion de
ses dessous : on peut le prendre à la lettre, et le développer,
le déplacer. C’est ça, ne pas être manipulés.
Le reproche qu’on peut lui faire, c’est de croire qu’une parole solennelle
peut réinstaurer l’autorité du professeur. Il faut rappeler
Ferry à la réalité et dire que sans le concours de
tous les acteurs du système éducatif, cette parole solennelle
restera vaine. Il est à craindre que nous, individus contemporains,
nous ne sommes pas prêts pour de la véritable action politique,
précisément parce que notre rapport au commun et à
la discipline, à la réflexion aussi, se sont décomposés.
C’est pour cela qu’il faut lutter contre le sentiment d’être manipulés.
Un livre nous laisse toujours la place d’enchaîner, de s’associer
à sa parole en en débattant. Cela passe peut-être par
un travail de soi sur soi comme l’évoque Donzelot après Foucault.
La violence se règlera entre autres par la responsabilité
des adultes vis-à-vis des enfants. Comme le dit Donzelot, laisser
faire les enfants ce qu’ils veulent aux mépris des règles
leur donne un sentiment de toute-puissance, de jouissance qui s’autoalimente.
Emmanuel :Les grévistes se sont
focalisés sur les actes politiques de Ferry et non pas sur son discours.
Ce constat doit être fait sans que cela soit considéré
comme une prise de position. Dans la mesure où la mise en place
des réformes va s’étaler dans le temps, il ne semble pas
judicieux pour l’Observatoire de prendre des positions. En revanche, on
doit prendre notre distance avec ce texte car les actes ne suivront pas.
Alexandre, qui est venu à cette
séance curieux de savoir ce que nous pouvions retenir d’un livre
qui ne l’a en rien convaincu, fait état de son malaise durant toute
cette discussion, de son étonnement devant l’euphorie dont les membres
de l’Observatoire font preuve face au livre de Ferry. Il se demande quels
bénéfices symboliques nous pouvons tirer à défendre
ce texte, qui lui semble plutôt un texte entrave. Il constate que
dans la pratique tout s’oppose au discours de Ferry (baisse des horaires
en classe non-francophone, revalorisation professionnelle au collège
qui se traduit trop souvent en pratique par des stages en supermarché,
journée de l’engagement qui s’est traduit par une heure dans son
établissement, les itinéraires de découverte justifiés
pour briser la solitude du professeur, etc.) : Ferry dit ce qu’il ne fait
pas, fait ce qu’il ne dit pas, ce qui justifie qu’on ait une attitude paranoïaque
à son égard.
Hélène se demande comment
Alexandre a pu entendre de l’euphorie dans les propos échangés
et remarque que l’attitude paranoïaque n’est pas une attitude politique.
Il ne s’agit pour nous ni de bénéfices symboliques à
escompter, ni de texte entrave dont il faudrait se débarrasser:
mais de s’affronter à ce qui est. Le texte de Ferry existe, et nous
ne sommes pas des souris prêtes à se laisser dévorer
par un fauve, car un livre n’est pas un piège : nous ne devons ni
ignorer son existence ni mentir à propos de ce qui y est écrit.
H. M.-K., en position de rédactrice
finale du CR :
En conclusion, la discussion révèle
assez bien la difficulté où nous met le livre de Ferry, et
le défi que nous avons à relever. Sans doute perdurent chez
certains le malaise exprimé par Alexandre et la suspicion diffuse
d’une pure et simple manipulation venue de droite face à laquelle
on risque de se fourvoyer ; la crainte de perdre toute crédibilité
en le défendant, fût-ce sous forme vigilante et critique.
L’appréhension pour beaucoup de se voir taxés ici et là
de « pro-Ferry », donc de droite, par des interlocuteurs à
la fois familiers et agressifs. Nous sommes cependant tous d’accord pour
continuer la réflexion de fond sur l’éducation, l’autorité
et la civilité, car, selon le témoignage d’Emmanuel, il y
a une carence de perspectives à cet égard même chez
ceux qui se battent contre les réformes (et contre Ferry).