Compte rendu de la séance du
30 avril 2003
Retour sur la table ronde du 26 avril
avec Jacques Donzelot
Présents : Christophe Mounier
(invité), Emmanuel Chanial, Christophe Angebault (rapporteur), Séverine
Chauvel, Marc Le Monnier, Lambert Dousson, Diane Huyez, Hélène
Merlin-Kajman, Séverine Rousset, Denis Sigal, Gaël Tijou, Stéphanie
Kerebel, Ivan Gros, Nanou Mahele, Marion Mas, Damien Rémont.
Discussion :
Tous les présents se sont félicité
des perspectives qu’elle ouvrait pour notre réflexion.
Par contre, plusieurs personnes ont fait
part de leur déconvenue devant le nombre trop faible des présents
: sans écarter la possibilité d’une simple coïncidence,
ceci pose le problème de notre capacité à diffuser
une information et à mobiliser les gens autour de notre projet,
des limites des relations amicales et de l’utilité du mail pour
faire venir les gens, et finalement du type de militantisme que nous souhaitons
développer à l’Observatoire.
Sur la forme, les questions préparées
à l’avance ne figent-elles pas le débat ? Elles ont en tout
cas permis de le lancer et de le relancer de manière intéressante.
Nous pouvons apprendre à en faire un usage plus souple.
Sur le fond, la riche discussion avec
Jacques Donzelot a suscité des réactions et des débats
sur différents points :
- la civilité : Il faut peu à
peu que nous précisions ce que nous mettons sous ce terme, notamment
en travaillant les traités de civilité puérile (Erasme,
etc. Voir aussi Vigarello, Le corps redressé). Réfléchir
sur le sens des gestes, le rapport au corps, au vêtement pourrait
être un moyen détourné de revenir sur la question du
voile islamique par exemple. Comment renoncer à la définition
de la citoyenneté qui nie les appartenances communautaires sans
tomber dans le communautarisme ? Lire M. Hénaff, Le prix de la vérité.
- conditions de l’autorité : elles
sont deux selon J. Donzelot :
+ 1. il faut développer une certaine
sollicitude ou bienveillance à l’égard de l’élève,
qui crée de la douceur d’apprendre. Or ceci fait problème
: pourquoi a-t-on à ce point l’image d’un corps enseignant qui ne
sait pas entourer et encourager ses élèves, voire qui les
« casse », alors que c’est manifestement contraire aux intentions
des enseignants dans l’immense majorité des cas ? L’école
est-elle réellement « dure » ? Sont-ce plutôt
les enfants et les parents qui attendent trop, ce qui les empêche
de voir la bienveillance ? Il y a là une incompréhension
qu’il faudra interroger.
+ 2. Rendre des comptes et tenir ses promesses
(sur ce point, la position de Donzelot peut nous rappeler celle de Christian
Puech exprimée lors de la table ronde précédente).
Cette condition apparaît certes nécessaire pour établir
une relation de confiance : en ce sens, l’idée d’interpellation
des administrations, sur une base égalitaire apparaît intéressante
(sur le modèle par exemple de : Groupes Intervention Prison,
lycée en Seine Saint Denis, modèle américain). Cela
pose néanmoins de nombreux problèmes. Cette nécessité
évoque les débats sur la contractualisation de la vie des
établissements scolaires, avec les risques afférents d’effacement
du cadre collectif et de développement d’une culture du résultat.
Rendre des comptes signifie-t-il produire des chiffres (notes, moyennes,
taux de réussite, etc.) ?
- école et travail : Peut-il s’agir
de rendre des comptes aux entreprises ? Ceci pose le problème du
lobbying des entreprises sur les diplômes et de la régionalisation
des diplômes (voir par exemple la réforme Licence-Master-Doctorat).
Les entreprises jouent la dévalorisation des diplômes en préférant
des employés sous-qualifiés, que l’on paye moins et qui sont
moins revendicatifs. Elles exercent des pressions pour la modification
des formations : ex. du lycée de Villepinte, qui a changé
l’intitulé d’un BTS à la demande de l’aéroport Charles
de Gaule.
- école et culture : la focalisation
de l’école sur le monde du travail ne va-t-elle pas contre l’idée
d’un accès commun à la culture ? Doit-on choisir cursus et
disciplines uniquement en fonction de leur utilité (ce que favorise
le système des coefficients) ? Est-ce compatible avec l’idée
de citoyenneté ? Voir Robert Misrahi, Démocratie et culture.
A cet égard, Donzelot a soulevé la question de l’impatience
des élèves qui veulent des résultats immédiats
: ceci conduit aussi à une baisse des exigences pour acheter la
paix sociale.
- intérêt général
: est-ce une notion que l’on peut sacrifier aussi facilement ? Il ne faut
pas sacraliser des notions qui ne sont que des fictions nous enseigne
J. Donzelot pour qui personne n’a jamais rencontré l’intérêt
général. A trop s’arc-bouter à des fictions quand
elles n’ont plus aucun rapport avec la réalité, on risque
de tout perdre. Pour autant, faut-il renoncer totalement à de telles
fictions ? N’ont-elles pas un rôle à jouer dans la création
d’une société ? Une conception trop utilitariste et rationaliste
du lien social (contrat, négociation, lobbying) peut-elle suffire
à apporter une réponse à la crise actuelle des solidarités
sociales ? Peut-on maintenir l’idée de service public dans une école
du choix ?
- contrôle social : Où se
trouve la limite avec l’état policier ? Là encore, le mot
peut susciter de nombreuses équivoques.
- la notion d’empowerment suscite beaucoup
de réserve, mais aussi des hésitations quant à son
sens exact : J. Donzelot la rattache à ce que Foucault appelle «
techniques de soi » : mais tend-elle plus vers un « souci de
soi » ou vers l’idéal du self-made-man à l’américaine
? Ce mot a en outre des connotations « marketing » : il est
efficace, mais difficile à définir. Pourtant, l’idée
de confiance en soi est intéressante pour comprendre la crise de
la citoyenneté, mais aussi la démotivation des élèves,
comme le prouve notamment l’expérience de Christophe Mounier (cf.
plus bas .
Globalement, du tour de table se dégage
un certain malaise, une certaine difficulté à se saisir des
notions employées par J. Donzelot. Mais il nous invite à
inventer un langage, au risque de semer des équivoques. C’est bien
le pari que cherche à relever l’Observatoire, avec des notions
comme « autorité », « civilité »,
etc. Face à ces mots troubles, d’autres interventions lors de la
table ronde paraissaient très claires, autour de notions qui semblent
s’imposer par leur évidence et leur nécessité : littérature,
culture… Notre propos ne devra-t-il pas être aussi de tracer un chemin
des unes aux autres ?
Par ailleurs, le malaise provient sans
doute d’un scepticisme de principe à l’égard du modèle
américain. Toute la difficulté est sans doute de faire évoluer
nos propres automatismes intellectuels sans pourtant perdre notre conscience
critique.
Présentation du projet « Ecole
de la deuxième chance » (E2C) par Christophe Mounier
Christophe Mounier, ancien enseignant,
travaille à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, qui
est l’initiatrice du projet E2C en Seine Saint Denis (93). Il est responsable
du centre E2C à Saint Denis.
Il s’agit d’un Projet européen,
initié sous le ministère Cresson, indépendant du Ministère
de l’Education Nationale, qui est financé par la CCIP (taxe d’apprentissage)…
Projet destiné à des élèves
majeurs (jusqu’à 25 ans), marginalisés et possédant
souvent un casier judiciaire, et n’ayant aucun diplôme. Ils doivent
faire eux-même la démarche de s’inscrire. Ce sont eux aussi
qui décident de la fin de leur parcours à l’E2C.
L’E2C est un centre de formation professionnel
qui ne prépare pas à un diplôme ou à un métier
spécifique, mais cherche à faciliter l’insertion des jeunes
sur le marché du travail : en effet, dans le 93, il y a paradoxalement
à la fois pénurie de main d’œuvre et chômage élevé.
Pour cela, l’E2C assure une formation scolaire minimale, mais aussi un
apprentissage social (politesse, horaires…) : les compétences que
les jeunes présentent aux entreprise dans leur « portefeuille
de compétences » ne sont pas nécessairement scolaires.
Il s’agit de rendre confiance aux jeunes et de leur permettre de retrouver
une autonomie pour chercher un travail. Le parcours des jeunes est entièrement
individualisé (le coût par élève est élevé
: l’équivalent du coût annuel de formation d’un énarque),
à l’opposé des formations classiques en groupes.
L’E2C emploie des formateurs, souvent
d’anciens enseignants, dont le rôle est très polyvalents ;
une psychologue, qui réoriente les jeunes vers d’autres réseaux
sociaux ; enfin, une secrétaire-assistante pédagogique, qui
a une fonction de confidente très importante.
La discussion avec Christophe Mounier
a été simplement amorcée, et se poursuivra la semaine
prochaine. Quelques questions et pistes de réflexions ont été
lancées, prolongeant parfois directement notre rencontre avec Jacques
Donzelot (notion d’empowerment, relation école-travail) et attendent
de plus amples développements.