Compte-rendu du 5 février
2002
Exposé de Lambert Dousson sur
le livre de Philippe Meirieu,
Frankenstein pédagogue, ESF
éditeur, 1998.
Présents : Marc Le Monnier
; Séverine Rousset ; Séverine Chauvel ; Hélène
Merlin-Kajman ; Marion Mas ; Nanou Mahele ; Damien Rémont ; Christophe
Angebault (rapporteur) ; Lambert Dousson ; Denis Sigal ; Gaël Tijou
; Emmanuel Chanial ; Gwenaëlle Maguéro ; Claudie Bassi ; Benjamin
Trolet ; Chloé Faïsse-Trolet ; Michel Baudet.
Exposé :
Frankenstein est la figure de l’éducateur
ancien ; qui a deux fonctions :
- fonction de contre-modèle, d’anti-Rousseau
: Rousseau, c’est le pédagogue qui veut réaliser l’enfant
et susciter en lui le désir d’apprendre ; or il est exclu de la
ville de Genève, et l’Emile et le Contrat social sont brûlés.
Le pédagogue n’a pas droit de cité chez Frankenstein.
- fonction méthodique-révélante
de la démarche de l’éducateur : l’éducateur fabrique
l’enfant à partir d’un empilement monstrueux de savoirs. Mais la
créature résiste à l’éducateur dans l’affrontement.
Meirieu conteste donc l’idéal «
prométhéen » (= pulsion de pouvoir) de l’éducateur
(tour à tour comparé à Pygmalion, Gepetto) et analyse
ses rapports à l’enfant (comparé à Pinocchio, au Golem)
dans les termes de la dialectique du maître et de l’esclave. Le paradoxe
de l’éducateur est de vouloir fabriquer un homme libre.
Pour sortir de ces antinomies et restaurer
le « sens », à la place des savoirs morts qui ne répondent
pas aux questions métaphysiques de l’enfant, il est donc nécessaire
de faire une révolution copernicienne dans la pédagogie,
en respectant sept maximes :
- renoncer à concevoir l’enfant
dans un rapport de possession : accueillir l’enfant comme un sujet.
- renoncer à fabriquer l’enfant,
et reconnaître le caractère salutaire de sa résistance.
- dénoncer l’insuffisance d’une
simple transmission de savoirs : le maître doit se subordonner aux
progrès de l’enfant.
- accepter que l’apprentissage résulte
de la décision souveraine et imprévisible de l’apprenant.
« Apprendre, c’est faire œuvre de soi-même ».
- créer un espace de sécurité
qui rend possible la décision de l’apprenant, en supprimant la compétition
sociale et l’évaluation et en faisant place avec amour à
celui qui vient et à ses convictions.
- l’autonomisation est le principe régulateur
de l’action pédagogique, l’élève n’étant pas
autonome a priori.
- faire place à l’erreur : le vrai
pédagogue se contredit toujours et c’est sa force.
Quatre recettes pour mettre en place cette
pédagogie :
- pédagogie des conditions : créer
un environnement favorable.
- pédagogie différenciée
: adaptée à chacun, avec travail en groupes.
- exigence du transfert des savoirs :
toujours articuler les savoirs et la vie du jeune, sa personnalité.
Mais pour éviter l’écueil de l’intrusion de la vie privée,
pratiquer la métacognition, c’est-à-dire une réflexion
sur le transfert et une distanciation des rapports vie-savoir.
- construction de la Loi : en mettant
en place des « conseils de vie scolaire », lieux de parole
où les rôles sont définis, avec un journal, et sous
la supervision d’un adulte. La Loi se substitue ainsi à la violence
de l’affrontement, et définit un espace et un temps habitable par
chacun.
Meirieu conclut sur la nécessité
d’une école conservatrice qui transmette le « don des morts
» (D. Sallenave), et il cite Arendt. Mais la transmission est reconnaissance
de la liberté de l’autre, et l’élève doit être
la mesure de tous les savoirs. Il ne faut pas les lui imposer au nom de
leur universalité, car ils sont relatifs.
Critique de Lambert Dousson :
- Meirieu s’abstient de donner corps à
celui qu’il éduque : « sujet », « apprenant »
sont des abstractions.
- Il évacue totalement le collectif
(désigné par le « monde », ou « on »)
de sa réflexion.
- pétition de principe qui fait
de l’élève un Emile (un homme à l’état de nature)
et de l’éducateur modèle un Rousseau. L’éducation
est donc une relation à deux, qui se fait de A à Z. Or un
éducateur ne reçoit jamais un enfant seul et vierge de l’empreinte
du monde…
- interprétation de Rousseau très
floue, qui mêle indistinctement Emile et le Contrat social. Or Emile,
c’est l’éducation de l’homme à l’état de nature, le
CS, c’est l’éducation politique de l’homme dénaturé.
- avec la mise en avant de l’idée
de loi, Meirieu espère remplacer totalement la contrainte par l’obligation
acceptée. Or pour Rousseau, le rapport de force est irréductible,
et c’est ce qui fonde la nécessité du CS.
2. Le pédagogue et les droits de
l’enfant : histoire d’un malentendu, Paris, Ed. du Tricorne, 2002 (présenté
par Marc Le Monnier).
La Déclaration des droits de l’enfant
(écrite par Korczak au XIXe siècle, adoptée en 1959
et transformée en convention internationale en 1989) est non seulement
légitime pour réduire les injustices subies par les enfants,
mais c’est aussi un outil au service de l’éducateur. Il tend à
démontrer que la pédagogie différenciée fait
partie des droits de l’enfant :
- cette déclaration est «
l’expression de l’insurrection éducative fondatrice » : la
pédagogie est en effet une insurrection contre les adultes qui considèrent
les enfants comme adultes en miniatures. L’enfant est au contraire un être
inachevé au même titre que les adultes. L’éducateur
ne doit donc pas lui imposer ses fantasmes de toute-puissance, mais faire
avec l’enfant et sa résistance. L’éducation est de l’ordre
de la praxis, pas de la poiésis.
- il ne faut pas confondre adulte et enfant,
mais reconnaître l’enfant comme sujet à part entière.
- éduquer l’enfant à la
citoyenneté selon la doctrine des trois P (Protection, Prévention,
Participation).
Discussion :
Réactions autour de la pédagogie
différenciée : absence totale de clarté sur ce qu’il
faut faire concrètement, dans les consignes des IUFM (Séverine
Chauvel, Séverine Rousset). Cela devient soit un dogme source de
légitimité pour les IUFM (Séverine Rousset), soit
des fiches de recettes (Marion Mas). Lambert Dousson constate de plus que
ces recettes sont impraticables, du fait de leur formalisation excessive.
Denis Sigal fait remarquer que cette pédagogie centrée sur
l’apprenant est apparue dans les années 1970 avec le Français-Langues
Etrangères (FLE), pour répondre à un cas très
particulier. Or à présent, on demande finalement à
l’enseignant d’être le précepteur de toute sa classe… Benjamin
Trolet indique qu’en primaire, l’application de la pédagogie différenciée
est imposée par des inspections pédagogiques régulières
; quant à la construction des savoirs par l’élève,
elle est applicable en sciences, mais certainement pas à la lecture
au CP. L’opposition construction / transmission est factice.
Rapport de ces conceptions avec la culture
d’entreprise : l’éducation à la citoyenneté évoque
à Lambert Dousson « l’entreprise citoyenne ». Sur cette
articulation, Hélène conseille la lecture de Luc Boltanski
et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
Marc rappelle que Meirieu est libéral à son insu, et souligne
que l’école doit selon lui être soustraite à la compétition
et à l’évaluation.
Hélène Merlin-Kajman s’interroge
aussi sur la séduction qu’exerce ce modèle : Meirieu touche
un vrai problème en soulignant notre crainte de façonner
l’humain (cf. libido dominandi de Saint Augustin). Mais le problème
est que l’enfant n’est jamais seul face à un seul adulte : il y
a deux parents entre lesquels il y a des scènes, d’autres enfants,
d’autres adultes. Curieusement d’ailleurs, avec l’horizon collectif, les
modèles de Meirieu excluent aussi toute figure féminine.
Damien Rémont souligne l’efficacité
d’un texte constamment réactif contre des figures repoussoir purement
rhétoriques, car vides de contenu (autant d’ailleurs que les désignations
de l’élève : apprenant, jeune…), mais qui constituent une
succession de cibles culpabilisante pour le lecteur.
Lambert Dousson souligne combien la masse
est aliénante aux yeux de Meirieu ; Hélène Merlin-Kajman
renchérit sur son « horreur du collectif », qui trouve
des échos dans l’air du temps : les parents d’élève
ne se représentent jamais la classe.
Hélène Merlin-Kajman souligne
enfin la nécessité de critiquer l’emploi de la dialectique
du maître et de l’esclave : car si un ordre crée bien une
relation de hiérarchie, il y a toujours une égalité
dans le fait qu’on partage le langage (Cf. J. Rancière, La mésentente).
|