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Compte rendu de la séance du 8 janvier 03

Exposé de Séverine Chauvel consacré à : Denis Kambouchner, 
« La culture », dans Notions de philosophie III, Paris, 1995.

Présents : Hélène Merlin-Kajman, Séverine Chauvel, Séverine Rousset, Marc Le Monnier, Chloé Gaboriaux, Christophe Angebault, Damien Rémont, Marion Mas, Judith Sarfati, Gaël Tijou, Stéphanie Kérébel, Emmanuel Chanial, Lambert Dousson, Denis Sigal, et une invitée, Dominique Pellegrin, journaliste à Télérama. 

Exposé :
Egalement auteur d’Une école contre l’autre, Kambouchner (=K.) distingue trois sens du mot « culture » :
1- sens ontologique : par opposition avec « nature », ce qui sort l’homme de l’animalité
2- la façon dont une société donnée réalise ce premier sens
3- sens classique : l’homme cultivé ; ici, le sens du mot « culture » s’universalise
K. rapproche alors, par le détour d’une enquête historique et critique, le sens 3 du concept de « civilisation » (il s’appuie notamment sur les Lumières et sur Levi-Strauss), et le sens 2 du concept, tel qu’il a été opposé par le Romantisme au sens 3. Pour les Romantiques, la culture (2) exprime le génie d’un peuple, ce par quoi il se distingue de tous les autres, exprime son identité. Mais il ne s’agit plus d’émancipation par rapport à la nature, mais d’une expression de la nature du peuple, puis, par extension, de n’importe quel groupe.
Ajourd’hui, c’est ce dernier sens qui a cours, notamment pour le multiculturalisme. Il conduit au relativisme : à l’idée du droit de chaque groupe à conserver sa propre culture.
C’est celui-là que l’on trouve défendu par Meirieu. Avec l’idée d’une absence de mélange des horizons : le respect de l’autre sera seulement le respect dans la préservation et la cohabitation des cultures identitaires.
Contre ce concept identitaire et conservatoire de la culture, K. oppose le concept, dynamique, de « civilisation » : mot que Balibar avait repoussé au profit de « civilité, à cause des possibles connotations ethnocentriques du premier. Mais il serait judicieux d’entendre la « civilisation » selon K. en écho avec la « civilité » selon B.
K. montre que la culture (2) est liée à l’inertie, l’autoconservation d’une société. Les cultures sont souvent liées à une montée en puissance du motif identitaire : à l’assise qu’elles offrent au Pouvoir. La civilisation implique au contraire un mouvement de curiosité, d’ouverture, d’accueil en direction de l’autre, et de desserrement des impératifs de la puissance. Rares en sont les moments dans l’histoire : la civilisation n’est pas une substance. On ne peut donc pas comparer une culture et une civilisation, et aucune culture humaine n’existe vraiment sans une dimension de civilisation : de sortie hors de soi.
Comme la civilité selon B., la civilisation selon K. implique d’élargir le langage, les identifications.

Discussion :
La discussion a tourné autour de l’application de ces concepts à l’école.
Comment concevoir une culture commune ?
Le respect de l’autre : les solutions actuelles, que ce soient celles des pédagogues, ou celles, policières, judiciaires, du ministère, supposent qu’on peut rapidement imposer le respect de l’autre dans une culture commune. Mais la culture est longue – justement, n’est-ce pas la civilisation et ses détours qui permettent de trouver un langage commun propre à jeter des ponts entre les cultures spécifiques, sans les écraser, mais sans les laisser intactes ? Il faut peut-être arrêter d’avoir peut de transformer les identités : une culture intacte, si l’on y pense à la lumière de K. et de B., conduit au rejet de l’autre (et son autre culture intacte). L’alternative n’est pas : respecter la culture de l’autre ou lui imposer la mienne. Mais comprendre que se « civiliser », c’est s’arracher à l’identité culturelle (après la vie domestique, l’identité familiale d’Hannah Arendt). Grandir et se civiliser : processus infini, qui suppose de valoriser le changement. Mais alors, quid de l’affirmation d’Hannah Arendt selon laquelle éduquer est une conservation, non une négation? Ne s’agit-il pas de transmettre les conditions du mouvement de civilisation, du décentrement critique, non d’enseigner d’abord la destruction, la négation ou le relativisme absolu ? Il ne s’agirait alors ni de conserver strictement, ni de détruire : mais de déplacer (processus vivant, dynamique, de la civilité-civilisation). Il ne faut pas méconnaître que certains élèves sont en effet porteurs d’une culture extrêmement éloignée de « la nôtre ». Mais ils ne sont pas non plus de complets « zombies », et il serait intéressant de décrire certains cas – les fameuses banlieues, par ex. – en les rapprochant de cas antérieurs (l’exode rural par ex.) : cela aiderait à dé-stigmatiser. Cela suppose du comparable, du commensurable – bref, une disposition intérieure de civilisation : d’aptitude à métaphoriser. 
Faut-il les rapprocher de la « grande culture » en les arrachant à la leur, ou ne faut-il pas penser le savoir, les oeuvres que l’on cherche à transmettre comme un moyen éprouvé pour jeter des ponts entre les singularités – comme nous-mêmes avons été déplacés par eux ? Il faudrait donc les transmettre non comme une culture (2) mais comme des éléments d’une civilité/civilisation.