Compte rendu de la séance du 5 mai 2004

“ L’éducation à l’environnement ”

Invités : Dominique Vaché et Laurent Marseault,

membres de l'association "Les Écologistes de L'Euzière".

Présents : Hélène Merlin-Kajman (co-rapporteur), Séverine Chauvel (rapporteur), Denis Sigal, Charlotte Taïeb, Lambert Dousson, Marc Le Monnier, Marion Mas, Cathy Porter, Philip Lewis, Jean Vaché.

Après un tour de table où chacun a répondu à la question : “ que signifie pour vous l’éducation à l’environnement ? ”, Dominique Vaché, vice-présidente, présente l’association :

I-Présentation de l’association par Dominique Vaché

Historique de l’association : L’association a trente ans, les statuts ayant été déposés en 1974. Elle s’est créée dans la mouvance de 68 par des universitaires de la faculté de Montpellier, plus précisément des botanistes qui voulaient sortir des amphithéâtres, aller sur le terrain. L’enseignement leur paraissait trop théorique. Leur slogan était : “ sur le terrain, plutôt que dans les livres ”. Il existe à Montpellier une tradition botaniste importante, on y trouve en effet le plus vieux jardin botanique d’Europe (1610). Le but initial de l’association était d’organiser des stages auprès des étudiants pour les faire sortir de l’université. Ensuite, elle s’est ouverte au grand public, en proposant pour tous et gratuitement des sorties le week-end, et une journée à  thème un samedi par mois. C’est à ce moment-là qu’une réflexion sur la pédagogie s’est imposée, et ce en dehors des amphis : qu’est-ce qu’enseigner ? Quoi enseigner ? Comment ?

Les activités : Les activités se sont diversifiées en fonction des demandes. Des emplois de permanents ont été créés. Nous comptons aujourd’hui 17 salariés, soit 15 à temps plein. Nous ne recevons pas de subvention, et sommes autosuffisants à l’exception de l’aide reçue pour 4 postes d’emploi jeunes. Dans un but économique, l’association a répondu à des demandes d’expertise et a équilibré ses budgets avec des activités payantes. Par exemple, on peut nous demander de procéder à des études de milieu avant d’implanter des éoliennes, un parcours TGV, ou encore une autoroute. Il s’agit de proposer des interprétations de milieux naturels. Nous disposons également d’un certain nombre de publications. Ce que nous proposons, enfin, est en lien direct avec votre association : un travail d’animation auprès des élèves, ce que Laurent Marseault va développer.

II. Les animations auprès du jeune public par Laurent Marseault, salarié de l’association.

Préambule : Je souhaiterais tout d’abord apporter des précisions sur ce qui vient d’être dit : former les jeunes nous permet de préparer l’avenir, mais cela ne suffit pas : nous travaillons aussi en prise directe avec les agriculteurs et les viticulteurs. C’est ce qui définit l’éducation, pour l’avenir et dans le présent. La question reste de savoir ensuite si nous sommes entendus par les adultes. Parfois j’en doute. Une autre précision : nous publions à la fois des livres naturalistes et pédagogiques.

Dans ce qui va suivre, ma position n’est pas hautaine : pour nous il est sûr que c’est beaucoup plus simple d’intervenir sur un court instant dans une classe, car on profite d’une sorte d’effet de surprise…. Il est bien évidemment plus difficile de tenir une classe toute l’année, je le reconnais. Nos positions sont tout à fait différentes et je ne suis pas là pour vous donner des leçons, d’autant plus que je suis dans la bonne position ! Par ailleurs, on ne peut pas faire deux fois la même chose, puisque les pré requis sont différents pour chaque classe, ainsi que les objectifs. Un même modèle ne peut être reproduit.

Présentation des interventions, du public et des demandes : Nous rencontrons environ 10 000 personnes par an en situation d’animation. L’âge de notre public est extrêmement large, il va des petits de halte-garderie aux personnes retraitées. Par exemple, il y a trois jours, j’étais dans un collège dans le cadre d’un Itinéraire de Découverte (IDD). Les classes d’âge les plus fréquentes que nous rencontrons sont les enfants de Maternelle, de cycle 3 du primaire et de 4ème de collège, dans le cadre d’un partenariat avec le professeur de Sciences et Vie de la Terre. Nous sommes de plus en plus sollicités pour intervenir dans des endroits “ à problèmes ” comme les Sections d’Enseignement Général Professionnel Adaptée (SEGPA) et l’enseignement agricole (où l’on commence à voir apparaître des problèmes de violence inexistants jusqu’à très récemment). Les gens sentent que la “  pédagogie institutionnelle ” est dépassée. Nos objectifs sont variés. Il s’agit aussi bien d’apprendre à travailler ensemble, d’acquérir une démarche scientifique que de susciter l’envie d’apprendre. Le travail avec l’enseignant consiste à faire en sorte qu’il se réapproprie l’acte d’éduquer, voire qu’il reprenne confiance en lui. Les enseignants font en effet de plus en plus appel à nous, parce qu’ils se sentent dépassés par des élèves de plus en plus hostiles à l’apprentissage. Mais une difficulté surgit alors : le professeur se retrouve en ligne de mire quand il fait quelque chose d’inhabituel. En effet, il se situe au carrefour de nombreuses pressions qui proviennent de la société, des parents, de l’inspecteur, de la censure, des programmes… C’est pourquoi lorsque nous intervenons, le prof reste maître, et définit lui-même les objectifs jusqu’à l’évaluation finale. Nous ne lui apportons qu’une aide, constituée avant tout par le dialogue. C’est précisément ce qui manque aux enseignants car nous avons remarqué qu’ils ne discutent pas entre eux. Pourtant, les moments d’échanges de pratiques sont essentiels. Et nous pouvons témoigner que nous avons l’occasion d’observer des pratiques innovantes, mais elles restent malheureusement isolées fautes d’être transmises lors d’échanges, de discussions !

Définition de l’éducation à l’environnement

L’évolution de nos activités se lit dans les termes mêmes qui les ont désignées tour à tour : nous avons débuté par des études de milieux (un scientifique et des élèves, considérés comme des petites mains qui servaient à l’expérimentation), poursuivi par des animations nature (pédagogies plus actives), et retenu aujourd’hui l’éducation à l’environnement. Ce n’est alors plus le savoir mais la personne qui est au centre. Cette évolution est liée aux conséquences de l’enseignement en dehors des murs de l’université. En effet, si les universitaires, dans le cadre d’un amphi, ne risquent pas d’avoir des questions sur les cigognes, en extérieur, il suffit que passent des cigognes dans le ciel pour que des questions, tout à fait motivées, soient posées à l’enseignant sur ces oiseaux, sans rapport aucun avec le contenu de son intervention. Cette image est exemplaire de notre pédagogie, qui a pour objectif de faire en sorte que les gens se posent des questions. Notre rôle d’éducateur est d’aider à bâtir des réponses, puis d’accompagner l’apprenant dans l’élaboration des réponses à ses questions.

L’éducation doit être ainsi centrée sur la personne. Je vais maintenant vous définir quelques visions de l’environnement car il en existe plusieurs. il y a la vision anthropocentrée, la vision écosystémique qui a pour objet d’établir les liens entre les différents environnements animal, naturel et humain ; il y a celle que j’appelle de type “ Gala ”,  qui repose sur une conception médiatique et catastrophiste de la protection de la nature (par exemple,  déplorer la disparition des ours) et part du principe que la planète est en danger : or cela ne me semble pas être le cas, car ne semble pas être scientifiquement prouvé. C’est différentes acceptions de l’environnement croisées avec différentes visions de l’éducation permettent d’imaginer nombre de combinaisons et donc de pratiques d’éducation à l’environnement.

Pour notre part, nous divisons l’éducation à l’environnement en deux volets : d’une part, l’éducation pour l’environnement (tri des déchets, respect de la nature, écologie) et, d’autre part, l’éducation par l’environnement, qui occupe aujourd’hui la plus grande partie de nos activités. En effet, l’environnement peut constituer un support d’apprentissage très motivant. C’est ainsi que l’environnement tel que nous le concevons renvoie à des problématiques éducatives, dont voici un aperçu.

Sujets de réflexions sur l’éducation

-la pédagogie du projet : construire du savoir par petits groupes.

-l’éducation des tout-petits : ce type de public permet de “ tester ” le succès de l’enseignement donné : car le tout petit, parce qu’il n’a pas encore l’éducation ni la politesse pour écouter, ne se gêne pas pour partir s’il n’est pas intéressé. C’est alors qu’il faut remettre en question la méthode et créer une démarche active.

-le protocole d’accompagnement des enseignants, qui consiste à rendre lisible la pertinence de l’enseignement par l’échange des pratiques.

-le développement de la place de l’imaginaire : il s’agit de travailler sur les liens intimes entre la personne et le monde qui l’entoure. Elle doit dans un premier temps aimer ce monde pour s’impliquer. Nous pensons que pour apprendre, il faut commencer par rêver : nous essayons d’éduquer à l’imaginaire, d’aider à développer l’imaginaire des enfants. Je m’explique. Un jour, j’ai posé la question suivante à un grand botaniste : pourquoi es-tu devenu botaniste ? Il m’a répondu qu’il n’y avait jamais songé. Après quelques jours de réflexion, il m’a révélé que c’était une image d’enfance – des fleurs bleues, telles des gentianes, dans une vallée – qui avait dû en être à l’origine. Ainsi, on ne peut pas réduire l’acte d’éduquer à la transmission d’un savoir. Il faut prendre en compte l’envie, qui suppose une relation intime entre soi et le monde.

-la pédagogie institutionnelle, où le cadre éducatif apparaît comme l’élément structurant essentiel de l’apprentissage.

-les débats philosophiques : apprendre à argumenter, problématiser et conceptualiser. A ce niveau là, il existe une certaine inhibition en France. Voir les travaux de Michel Tozzi.

-les “ arbres de la connaissance ” : cette méthode, inventée par Michel Authier, a été utilisée à l’origine par les entreprises. Elle part du principe que nous connaissons tous des choses. Il s’agit alors de favoriser les échanges horizontaux des savoirs par le biais d’un schéma visible de tous : on dessine un arbre où sont représentés tous les savoirs des présents, qui disent tour à tour : voilà, moi je sais faire ça (par exemple, de la cuisine, bricoler, etc.). A l’école, les enfants sont trop vite cataloguées : il y a les bons, il y a les mauvais. Avec cette technique de valorisation de tous les savoirs, l’élève n’est plus quelqu’un qui ne sait rien, il retrouve une place sociale par la démonstration de ses connaissances. L’arbre représente les compétences acquises et à acquérir par chacun ;  il constitue par là un outil d’évaluation et de motivation. Ainsi, chacun découvre sa propre manière d’apprendre, ce qu’on nomme la métacognition. La classe se transforme en réseau d’échanges de savoirs et l’enseignant en animateur de réseaux. 

-les nouvelles technologies : Internet permet de faire sortir les productions des élèves de l’établissement et de créer par conséquent de la motivation.

-l’information sur les métiers  quant à elle permet de donner du sens aux apprentissages.

-l’éducation hors scolaire : on passe, sur 8760 heures par an, 3000 à dormir, et 950 à l’école. Il en reste 4800. L’école n’est pas le seul lieu éducatif. Il faut compter aussi sur le mouvement d’éducation populaire et les parents.

III-Discussion

Hélène Merlin-Kajman : Je vous remercie de votre présentation, qui soulève toutes sortes de problèmes passionnants. Par exemple, je suis frappée par cette demande qui vous est adressée d’intervenir auprès de classes de maternelle. Je me demande, personnellement, s’il est légitime d’éduquer à l’environnement dès la maternelle. N’est-ce pas révélateur d’une société qui, faute d’un projet d’avenir, d’un projet politique, se met à placer tout son espoir sur les enfants, comme si  eux seuls pourraient désormais changer le monde ? Et du coup, comme s’il fallait les former à cette tâche au plut tôt ? Est-ce que cela ne ressemble pas à de l’embrigadement ?

Votre anecdote sur le botaniste et ses gentianes ne me convainc pas non plus : je ne crois pas que l’éducateur doive s’occuper de ce lieu intime, que je nommerais plutôt « désir » qu’ « imaginaire ». Pour moi, il y a là aussi un forçage, une intrusion trop totale dans la tête des enfants, qui n’est pas sans rapport avec cet autre mot d’ordre éducatif qu’est « l’éveil à la curiosité ». Dans une publication de la revue Autrement, La curiosité, Claude Duneton dresse une satire des adultes. Il critique le fait que nous ayons voulu tout mettre à la portée des enfants, ce qu’illustre la miniaturisation du mobilier, par exemple les WC miniatures en maternelle. Or, la curiosité naît plutôt de l’interdit, du désir d’atteindre ce qu’on ne nous offre pas. Ne vaut-il pas mieux, là encore, rendre l’enfance à l’enfant – l’enfance, comme temps de curiostié, d’impatience de grandir ?

Tout se passe comme si on ne devait refuser à l’enfant aucun savoir, aucune expérience, parce qu’il faudrait le traiter déjà comme un adulte.

Dans le même ordre d’idées : je suis d’accord, l’école a trop longtemps fustigé les élèves en les classant en “ bons ” et en “ mauvais ”. Mais il y a un risque à vouloir « positiver » tout ce qu’ils font : j’ai vu des concours d’orthographe où l’on décerne des prix à ceux qui n’ont « que » 10 fautes, ou bien des représentations théâtrales de fin d’année fortement applaudies alors que les enfants n’avaient pas appris leur texte et jouaient en tournant le dos au public. Là, il me semble important de maintenir l’idée que ce qu’ils font puisse être « mauvais »…

Laurent Marseault : Comme nous n’intervenons que de façon ponctuelle, nous pouvons proposer une vision différente de celle d’un professeur. Ainsi, travailler sur la place de l’imaginaire, c’est laisser plus d’espace et de temps, favoriser une démarche inductive. Pour la demande en provenance des instituteurs de maternelle, cela n’est pas vraiment étonnant : l’enseignement en maternel est, tout comme l’enseignement sportif ou agricole, le lieu où les enseignants font plus attention qu’ailleurs à l’apprenant, où se trouve mobilisée une pédagogie de l’attention plutôt que  de l’intention. Et c’est très positif.

Marion Mas : Est-ce qu’il ne faudrait pas distinguer éducation et pédagogie ?

Séverine Chauvel : Comment interprétez-vous ce nouveau besoin, de la part de ces enseignants que vous décrivez comme dépassés, de choisir un nouveau support, l’écologie, pour éduquer ? Vous observez un nouveau phénomène de violence dans l’enseignement agricole : ne pensez-vous pas qu’il est lié à un problème d’autorité ? Cette notion a été absente de la présentation de vos sujets de réflexions, ou alors faut-il la chercher derrière la formule « pédagogie institutionnelle » ?

Laurent Marseault : C’est vrai que les enseignants nous appellent à l’aide. C’est pour cela qu’on passe du temps avec eux à définir le problème, et les objectifs : face à leur demande, la question qu’il faut se poser est : “ à quoi ça sert ? ”. Une enseignante est venue dans l’idée de faire travailler ses élèves sur les oiseaux. Mais pourquoi ?, lui a-t-on demandé. Après discussion, il s’est révélé qu’elle était passionnée par les oiseaux, et comme elle cherchait à motiver des élèves totalement démotivés, elle pensait tout naturellement que les oiseaux les intéresseraient eux aussi. Cet exemple montre l’importance d’une réflexion collective : je vous conseille vivement de réfléchir sur vos pratiques, dans le cadre du GEASE (groupe d’échange et d’analyse en sciences de l’éducation).

Charlotte Taïeb : Vos propositions pédagogiques, par exemple l’idée de l’arbre de connaissances, sont très intéressantes, mais elles me semblent inaccessibles. En effet, ces pratiques répondent à ce dont tout enseignant rêve : mais avec une classe à l’année et beaucoup d’élèves, on a les mains liées. Ne croyez donc pas que les profs ne veulent pas faire ces expériences !

Laurent Marseault : Je sais que vous ne maîtrisez pas tout, mais ces expériences existent, le problème est qu’elles restent isolées. Par exemple, vous pourriez profiter des itinéraires de découverte (IDD), qui fournissent un espace possible pour expérimenter de nouvelles pratiques.

Marion Mas : Dans quelle mesure l’éducation par l’environnement constitue-t-elle une solution à la violence ? J’imagine plus simplement que le seul fait de mettre les élèves en pleine nature fait naître un autre rapport de l’enseignant aux élèves mais aussi des  élèves entre eux, et que c’est la raison pour laquelle les choses semblent soudain s’améliorer.

Laurent Marseault : Evidemment, l’espace extérieur crée des conditions plutôt favorables. Mais il est important que la découverte ne soit pas seulement théorique, mais surtout physique. On est donc loin de la pédagogie institutionnelle, qui parfois semble au contraire créer elle-même les conditions pour que ça pète . Dans l’institution, celui qui est en désaccord n’a pas de lieu pour s’exprimer, alors que, nous, nous proposons des moments de régulations, les “ conseils ”. L’enseignant pose les règles fondamentales qui sont ensuite modifiées, selon les propositions des élèves.

Dominique Vaché : Nous organisons tous les étés des camps nature pour les 9/14 ans. Les conseils ont lieu tous les soirs. Des règles y sont élaborées, on y détermine ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Souvent, ce qui n’est pas permis relève des règles de sécurité. Ce sont les enfants eux-mêmes qui régulent les conflits relatifs aux infractions à la règle pendant ces conseils, qui sont présidés par un enfant. Et tous les soirs, il y a rediscussion possible des règles, car si un enfant n’est pas content d’une règle, il peut demander qu’on la change. Parfois le conseil décide de la changer, parfois non. Mais il est sûr que l’institution, par exemple le collège, n’est pas adaptée à ce fonctionnement.

Hélène Merlin-Kajman : Je vois deux problèmes dans notre discussion, qu’il vaudrait le coup d’essayer de distinguer. D’un côté, on vous sollicite de plus en plus, pour des raisons qui ont de moins en moins rapport à l’environnement, si je vous comprends bien. Ce point est pour nous extrêmement intéressant. On peut y voir un signal : les enseignants ne pouvant pas s’adresser à leur hiérarchie, et étant, par ailleurs, plutôt sensibles à l’écologie, Comme les enseignants ont une sensibilité écologiste, ils vous appellent comme des sortes d’ambulanciers d’un certain nombre de situations. Or, cela correspond à d’autres situations que nous avons observées : tout se passe comme si les enseignants – et les adultes en général - se sentaient insuffisants pour répondre aux difficultés de la vie scolaire. Par exemple, lorsqu’il y a un accident grave, on fait venir un psychologue. Il y a quelque chose que vous n’expliquez pas : que pensez-vous de cet enseignant de maternelle qui demande l’intervention d’un spécialiste ? C’est une question principielle sur laquelle nous essayons de réfléchir, en la nouant autour de la question de l’autorité.

Je suis en désaccord avec vous sur les causes du ratage de l’éducation à l’école. Le modèle du contrat, sur lequel reposent les “ conseils des enfants ” que vous organisez, ne me semble pas la solution. En effet, plus on essaie de formater de futurs citoyens en faisant participer les enfants à des formes démocratiques embryonnaires, plus on empêche tant le désir, que la bonne frustration – celle qui force à réfléchir – de se développer. Que les enfants puissent changer les règles tous les jours lors des conseils me paraît priver les enfants du ressort intérieur qui forge plus tard l’engagement politique, le militantisme. Comment faire mûrir des colères si on met les enfants sans cesse devant des situations irréelles, idéales, où la temporalité rapide empêche de se projeter, d’expérimenter sur du long terme ? Pour nous, ce sont plutôt ces modèles éducatifs, très prônés dans l’éducation nationale et mis en pratique sous d’autres formes, qui ont créé les situations de violence que nous voyons. Je ne crois pas non plus que l’on puisse juguler toute violence par la parole, le débat, surtout avec des enfants. Il vaudrait mieux, au contraire, rassurer les enfants sur leur place, en acceptant d’assumer la position d’autorité qui nous revient en tant qu’adulte.

Laurent Marseault : Mais pourquoi les gens ne votent-ils plus ? Parce qu’ils n’en voient pas les effets. Ce sont les institutions qui génèrent de la violence car elles ne permettent pas aux citoyens d’agir. A l’école, c’est pareil : les élèves sont méprisés, leur parole n’est pas sollicitée, donc il ne leur reste que la violence comme moyen d’expression. Il faut donc leur aménager des espaces de protestation.

Denis Sigal : Vous avez dit que la classe peut constituer un lieu d’échange des savoirs et d’épanouissement personne. Mais, en même temps, elle est un lieu de reproduction sociale, où se jouent de l’émulation, de l’évaluation et de la sélection. Je ne suis pas sûr qu’elle puisse assurer ces deux fonctions à la fois, même si, au fond, les deux sont légitimes. A mon sens, on devrait en prendre acte : je rêve d’une séparation entre ces lieux, entre un lieu où l’on s’épanouirait et un autre où on évaluerait.

Laurent Marseault : Il faut en effet pouvoir rêver, s’offrir des espaces de liberté et d’utopie… C’est ce que nous cherchons à offrir.

L’Observatoire de l’éducation remercie chaleureusement Dominique Vacé et Laurent Marseault pour cette rencontre.