Compte rendu du 11 décembre
2002
Quelles gratifications et quelles motivations
dans le métier d’enseignant ?
Réflexion à relier avec
Le
prix de la vérité de Marcel Hénaff.
Liste des présents : Séverine
Rousset, Gaël Tijou, Stéphanie Kérébel, Diane
Huyez, Marion Mas, Denis Sigal, Ivan, Emmanuel Chanial, Hélène
Merlin, Judith Sarfati, Séverine Chauvel, Marc Le Monnier, Christophe
Angebault
Ordre du jour : Quelles gratifications
et quelles motivations dans le métier d’enseignant ? Réflexion
à relier avec Le prix de la vérité de Marcel Hénaff.
Séverine Chauvel : En se
fondant sur le livre de Marcel Hénaff, on peut affirmer que l’enseignement
n’a pas de prix. Ce n’est pas une valeur marchande, il n’est pas productif.
Marc Le Monnier : Cette idée
est importante à défendre car l’institution tend à
adopter le vocabulaire de l’entreprise. Sur son site internet, on a pu
trouver des études cherchant à calculer la « valeur
ajoutée » des établissements.
Nicolas : On ne peut pas reprocher
de vouloir trouver une possibilité de mesurer la progression des
élèves mais pourquoi prendre un vocabulaire issu du monde
de l’entreprise.
Hélène Merlin-Kajman
: Comment expliquer le sentiment d’une situation désespérée
chez les enseignants, même dans le supérieur (difficulté
d’enseigner en amphi)? Par rapport à l’idée de don développé
par M.Hénaff, on ne voit plus les élèves offrir de
cadeaux aux professeurs en fin d’année ce qui était une forme
de reconnaissance morale et symbolique.
Denis Sigal : La situation à
l’Université peut s’expliquer par le fait que les étudiants
qui ont choisi ce cursus l’ont fait en dernier choix. De plus, il y a un
consumérisme chez les élèves car ils n’ont aucune
obligation et n’ont rien à donner en échange.
Diane Huyez : En pratique, l’idée
de don peut s’organiser en cours par de petites fêtes exceptionnelles
organisées en fonction de l’effort fourni par les élèves.
Idiot en apparence mais la notion de plaisir permet de donner une motivation
commune, elle permet de sortir du rapport des notes et de l’idée
de consommation pour les élèves.
Marion Mas : L’institution réfléchit
aussi à l’idée de sortir l’élève du rapport
à la note, notamment par la mise en place de parcours de découverte.
On peut le faire aussi par d’autres moyens pédagogiques mais on
retombe toujours sur le problème « qu’est-ce qu’on doit faire
à l’école ( à l’intérieur ou en dehors) ? ».
Or le problème aujourd’hui est que le savoir n’est pas valorisé,
notamment par l’institution qui cherche à résoudre le problème
de l’orientation par une professionnalisation rapide des élèves.
Séverine R. : Combien de
temps peut durer une motivation commune des élèves à
partir de l’organisation d’une fête ? On doit au contraire ne pas
entretenir les élèves dans ce sens.
Diane Huyez : L’organisation d’une
fête permet de montrer aux élèves faibles que les efforts
peuvent payer. De plus, les élèves ne peuvent pas dire «
A quoi ça sert ? ». Il y a en effet l’affectif qui est gênant
mais on ne peut pas complètement s’en passer.
Marion Mas : La satisfaction n’est
pas seulement affective mais dans la progression des élèves.
Hélène Merlin-Kajman
: D’où vient ce découragement extrême ? Est-ce
la situation dans la classe ? Est-ce le manque de reconnaissance à
l’extérieur ? De plus, quand on échange nos expériences,
a-t-on vraiment les mêmes classes ? Nécessité de se
demander pourquoi les élèves ont besoin de fêtes ?
Marion Mas : Sentiment que l’institution
véhicule une dévalorisation du savoir au profit des nouvelles
technologies.
Denis Sigal : Refus d’envisager
son métier comme un sacerdoce comme le voudrait l’institution. Le
métier d’enseignant est une activité professionnelle comme
une autre. Actuellement être enseignant du primaire semble plus valorisant
que celui du secondaire.
Hélène Merlin-Kajman
: Il faut sortir de l’alternative sacerdoce/métier comme les
autres. Il faut trouver une autre manière de l’envisager de même
que le concept de « civilité » permet de sortir de l’alternative
autorité/laxisme.
Emmanuel Chanial : Constat qu’aujourd’hui
il y a une vraie haine du fonctionnaire. Par ailleurs, l’Education nationale
a confié au professeur la mission de sauver la République.
Le prof doit devenir un éducateur. Cela serait acceptable si cela
était dit mais c’est intenable car l’administration cherche de plus
à étouffer les problèmes.
Judith Sarfati : Le système
libéral a réussi à transmettre l’idée que le
professeur était le fonctionnaire le plus privilégié
et qu’en plus il était responsable de l’échec de l’école.
La publicité joue avec le public sur l’idée qu’on s’ennuie
en classe. ( cf. pub de la Ratp)
Séverine Rousset : L’énergie
du professeur vient dans le fait de croire à son métier.
Avoir le goût de sa matière, avoir de la sérénité
et de la distance.
Ivan : Paradoxalement, le plus dur n’est
pas d’entrée dans l’institution mais d’en sortir.
Marion Mas : Pour l’institution
le professeur est acceptable si c’est un éducateur mais il est dangereux
s’il transmet du contenu et du savoir.
Hélène Merlin-Kajman
: Le texte d’Hannah Arendt interroge justement ce que veut dire professeur/éducateur.
On doit être en mesure de répondre à la question qu’elle
pose « qu’est-ce que l’éducation ? ». On demande aujourd’hui
à l’école de faire de l’éducation. Qu’est-ce que l’IUFM
entend par cela? Quels sont leurs solutions ? Il faut encore sortir d’une
alternative : les nouveaux pédagogues et les anciens de l’école
de Jules Ferry. La réponse de Meirieu qu’on ne peut pas accepter
c’est que le métier de professeur doit être envisagé
comme un sacerdoce dans lequel l’adulte doit « se tuer lui-même
».
Séverine Chauvel : Le rôle
d’éducateur pour le professeur est un défi trop important
à relever car il nécessite un rapport individuel particulier.
Christophe Angebault : Par rapport
à l’idée de sacerdoce, il est certain que quelque chose s’est
perdu depuis la IIIème république. Y a-t-il une limite au
don ? Peut-être parce que l’échange ne fonctionne plus entre
le professeur et les élèves. De plus ça ne peut pas
être une règle comme voudrait nous en convaincre l’IUFM, c’est
à chacun de voir ce qu’il peut donner.
Luc Ferry dit « les moyens ne sont
pas la clé » pour améliorer l’école. Mais il
y a un double discours l’EN est le premier employeur d’emplois précaires,
on supprime des fonds sociaux dans des établissements. De plus il
y a le problème du salaire des professeurs. En trente ans, leur
pouvoir d’achat s’est considérablement réduit. On pense toujours
en termes de dépense et non pas d’investissement car l’EN coûte
cher.
Marion : Si on doit refuser le rôle
d’éducateur pour le prof c’est au sens d’éducateur spécialisé
et pour le sacerdoce c’est au sens de sacrifice.
Diane Huyez : Souligne le problème
des enseignants qui mettent leurs enfants dans le privé.
Denis Sigal : Comme au Japon, on
court le risque de voir apparaître un deuxième système
éducatif en parallèle. Avec des conséquences : on
respecte le prof des cours particuliers car dans l’EN l’élève
n’est pas autant protégé et reconnu par son prof. Refus du
sacerdoce au sens de « feu sacré » qui fait penser au
phénomène du « burn out ». On sait que dans une
situation d’enseignement difficile l’investissement d’un professeur ne
dure que 4 ou 5 années, d’où l’idée de l’institution
de faire tourner ces jeunes professeurs pendant ce laps de temps dans les
zones difficiles.
Ivan Gros : L’ennui est associé
à l’école depuis qu’elle existe (caricature de Daumier/ L’enfant
de Jules Vallès)
Marion Mas : Proposition de réfléchir
à la violence sans adresse dans les écoles à partir
de Bowling for Columbine.
Christophe : La vocation des instituteurs
sous la IIIème République peut se comprendre car pour eux
c’était une promotion sociale, ce qui n’est plus vrai aujourd’hui.
De plus on se battait contre le curé, contre des ennemis supposés.
Tentative aujourd’hui de se reconstruire un ennemi.
Judith Sarfati : Il n’y a pas de
continuité entre Daumier et la publicité car cela ne touche
pas le même public. Aujourd’hui c’est l’image de Bill Gates qui prédomine,
homme le plus riche du monde, médiocre à l’école et
qui réussit en autodidacte.
Hélène Merlin-Kajman:
La
différence par rapport à l’époque de Daumier c’est
qu’aujourd’hui l’image du pédant est transmise par la société
et par l’école elle-même, avec comme prescription la rébellion.